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LETTRES D’UN MARIN.

lettres ce qui est arrivé. L’argent est en dépôt, intact, tout prêt à être expédié à sa destination. Vous comprenez que dans toutes ces affaires je n’agis pas seul ; j’ordonne, mais j’ai des gens qui signent avec moi. La dépense est faite par la frégate ; l’argent en répond, voilà tout. Que le ministère acquitte les traites émises par nous, et l’argent déposé retourne à sa destination première. Il faut que j’interrompe ici ma lettre ; j’ai des affaires par-dessus les yeux.

30 décembre. — J’ai l’intention de partir aujourd’hui à deux heures de l’après-midi, si rien n’accroche. Sans l’argent que j’avais à bord et que j’ai déposé en garantie de mes traites, j’aurais été obligé, pour donner à manger à mon équipage, de vendre mes canons et mes boulets. On dit que la Bayonnaise, en Chine, est réduite à la dernière extrémité. Honte et misère ! la révolution de février nous barbouille de fange. Pas un son de crédit, même pour vivre. Comprenez-vous la nécessité où je me suis trouvé de donner la garantie d’argent qu’on exigeait impérieusement de moi ? Comprenez-vous aussi la vexation du ministère, qui sent par là que tout crédit lui est refusé, qu’il subit le déshonneur de la patrie, et que nul à l’étranger n’a foi dans le gouvernement ? Je leur ai mis le poignard sur la gorge en leur faisant toucher au doigt le mépris qu’ils inspirent, et je ne leur al pas mâché les termes. Nous sommes en révolution, peut-être en guerre civile ; il ne s’agit plus d’avoir une prudence timide. Chacun de nous doit à la patrie tout ce qu’il peut.

À bientôt donc ! J’espère être en France dans cinq mois. Qu’y aura-t-il d’ici là ?


Nantes, le 21 mai 1849.

J’arrive à Nantes par un bâtiment de commerce. Il n’est pas possible, comme vous voyez, d’être plus brutalement traité que je ne le suis. Je vais partir pour Paris. Je supprime le bavardage que je vous avais écrit pendant ma traversée : ça répond à des choses bien différentes de ce que je trouve ici. Les affaires vont très mal. J’aurai sans doute bien des tracasseries personnelles à essuyer ; mais qu’est cela au prix de l’état où je trouve cette pauvre Fiance et des appréhensions que tout cela m’inspire ! À l’heure qu’il est, on parle de coups d’état ; des combats ignobles en perspective et des dégoûts privés sans nombre : quel retour !

Je vous adresse ce griffonnage à Paris, où je pense bien que vous ne serez pas ; mais sans doute on vous l’enverra, soit en Normandie, soit dans le midi. — On ne sait vraiment plus que souhaiter à ses amis, quel compliment leur faire. Il faut serrer les rangs pour résister à l’orage. Si l’on en croyait tout ce qu’on dit, nous serions à la veille de la dissolution de toute société. Espérons que la France