Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/279

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pas vu et qui ne pouvait savoir lui-même ce qui en était, mais par une sorte de hasard. Le général von der Tann, ayant à écrire au commandant de nos avant-postes à Mer, pour le remercier de lui avoir remis le corps d’un officier bavarois tué dans un combat, avait cru donner une marque d’estime au général français en lui annonçant un événement qu’il venait d’apprendre de Versailles, et qui était encore inconnu des deux armées en présence. Cette nouvelle, portée aussitôt à Blois, où elle consternait le général d’Aurelle, puis à Tours, où elle enflammait toutes les colères, avait assurément une sinistre portée. Tant que Metz avait tenu, rien ne semblait perdu. La chute de la citadelle lorraine livrait à la Prusse l’armée la plus aguerrie de la France, et laissait 200,000 Allemands libres d’accourir sur la Loire. Que M. Gambetta, saisi par un désastre qui ne pouvait pourtant pas être imprévu, sentît la nécessité de faire bonne contenance devant ce dernier coup de la mauvaise fortune, de prévenir la terrible impression qui allait se répandre dans le pays tout entier, dans l’armée elle-même, rien de mieux. Il s’y prenait malheureusement d’une manière étrange. Il disait et il faisait tout ce qu’il fallait pour aggraver le mal en ajoutant à la confusion des esprits. Il publiait deux proclamations furibondes au pays et aux soldats, récriminant contre le passé, parlant maladroitement de « l’armée de la France dépouillée de son caractère national,… engloutie malgré l’héroïsme des soldats, par la trahison des chefs… »

M. Gambetta ne s’apercevait pas qu’avec toutes ces déclamations d’un souffle plus révolutionnaire que patriotique, avec ces vagues accusations de défaillance ou de trahison lancées contre des hommes qui ne se croyaient pas des prétoriens parce qu’ils avaient servi dans l’ancienne armée, avec ces vaines et périlleuses distinctions entre chefs et soldats, il compromettait tout. Il risquait de donner le plus redoutable aliment à cette maladie du soupçon qui dévorait le pays, de jeter l’irritation et le chagrin dans le cœur des généraux, de semer l’esprit de défiance et de révolte parmi ces jeunes soldats de la Loire qu’il croyait enflammer, et en effet le résultat ne se faisait pas attendre. A peine les proclamations de ce jeune tribun déguisé en ministre de la guerre étaient-elles connues, que la discipline s’en ressentait aussitôt dans l’armée rassemblée autour de Blois. Les chants et les cris recommençaient, et dans certains corps soldats et sous-officiers mettaient tout simplement en question s’ils ne cesseraient pas d’obéir à des chefs qui les trahissaient. Les généraux de leur côté étaient profondément ulcérés, et quelques-uns voulaient donner leur démission. Le commandant en chef, en pensant comme eux, ne pouvait pas parler comme eux. Il les réunit, écouta leurs plaintes, et s’efforça de les apaiser en leur