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rappelant que comme soldats ils n’avaient point à s’occuper de politique, que leur unique mission était de délivrer le sol national, que le meilleur moyen pour eux de répondre à toutes les calomnies était de verser leur sang pour la France, comme on allait le faire de bon cœur et de bonne volonté. — Ces braves gens, qui souffraient plus que tout le monde, ne demandaient pas mieux au fond que de se laisser remonter par une bonne parole et de se remettre à l’œuvre. Ce n’était pas moins pendant quelques jours une crise des plus pénibles pour le pays, pour l’armée, pour le général d’Aurelle, qui avait à faire face non-seulement à toutes les difficultés matérielles, mais encore aux difficultés morales qui naissaient pour lui d’une situation si profondément troublée, des excitations passionnées du gouvernement lui-même. On en vint à bout cependant et même assez vite pour être prêt à tout événement.

Restait toujours en effet la question essentielle, l’expédition sur Orléans, qui avait subi un temps d’arrêt au milieu de toutes ces péripéties, qui dépendait de la négociation poursuivie à Versailles par M. Thiers, mais qui pouvait être reprise d’un instant à l’autre. Le général d’Aurelle était, dès le 3 novembre, en mesure de se mettre en mouvement au premier signal. Quant à prendre une résolution ou même à donner des ordres précis, comment l’aurait-il pu ? Il était réduit à chercher ses directions dans des dépêches qui lui venaient de Tours et qui révélaient une singulière incertitude. On lui disait de se tenir prêt à marcher dès le lendemain, « comme si le mouvement était irrévocable ; » mais on ajoutait : « Il est possible que les circonstances politiques obligent ce soir ou demain à revenir sur cette décision… » Ce n’était point extraordinaire d’ailleurs ; le gouvernement hésitait, ne sachant rien de Versailles, agité d’une impatience qu’il poussait jusqu’à l’animosité contre M. Thiers, et ne pouvant cependant rien brusquer ; il mettait ses hésitations dans ses dépêches. C’eût été bien plus simple encore de ne rien dire, puisqu’on n’avait rien à dire.

Ce qui commençait à n’être plus aussi simple, c’est qu’au milieu même de ces contradictions, entre le 1er et le 5 novembre, M. de Freycinet, de concert avec M. Gambetta, avait imaginé une combinaison assez inattendue qui pouvait bouleverser tous les préparatifs faits jusque-là. Il avait expédié à Blois un jeune attaché à la guerre qui allait faire beaucoup parler de lui, un jeune ingénieur des chemins de fer d’Autriche, Polonais de naissance, Français de choix, M. De Serre en un mot, qui était chargé de proposer au général d’Aurelle un plan tout nouveau. On ferait la même chose, seulement ce serait tout le contraire. C’était, comme M. de Freycinet l’écrivait avec naïveté, « le mouvement inverse de celui