Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/294

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la « diversion sur la droite, » il avait réussi à dégager l’ouest de l’étreinte du grand-duc de Mecklembourg, lorsque bien avant le 28 le grand-duc avait l’ordre de regagner Orléans. Il comblait d’éloges les deux corps qui avaient combattu, il exaltait surtout le jeune chef provisoire du 18e corps, le colonel Billot, qu’il faisait général. Il parlait enfin « des avantages signalés » qu’on avait remportés.

On était malheureusement bien obligé de s’avouer la vérité, une vérité cruelle, désagréable surtout pour le gouvernement. Le commandant du 20e corps eut le courage de ne pas la cacher. Il osa dire qu’il avait besoin de « quelques jours de repos pour se refaire, » que ses soldats manquaient de tout, que les bataillons de mobiles de la Haute-Loire « n’avaient pour tout vêtement que des pantalons et des blouses de toile complètement hors de service. » M. de Freycinet répondait aussitôt d’un ton napoléonien : « Vous me paraissez bien prompt à vous décourager, et vous n’opposez pas à l’ennemi cette solidité sans laquelle le succès est impossible. Vous me parlez aujourd’hui de quelques jours de repos. Il s’agit bien de repos… Il faut marcher, et marcher vite… J’attends de vous que vous emploierez toute votre activité et votre énergie à relever le moral de vos troupes. Si l’attitude de ce corps continuait à paraître aussi incertaine, je vous en considérerais comme personnellement responsable… »

Voilà comment du fond d’un cabinet de Tours on parlait à des généraux qui étaient devant l’ennemi, qui avaient le malheur de ne point réussir dans les aventures où on les jetait. Je me figure que, si le chef provisoire du 18e corps, le général Billot, connut cette lettre, il dut souffrir des faveurs exceptionnelles dont il était l’objet, en voyant ainsi traité un compagnon de guerre auprès duquel il venait de combattre. Le général Martin des Pallières, quant à lui, n’avait pu prendre aucune part à l’affaire de Beaune-la-Rolande ; il n’avait pas dépassé Loury dans la forêt, et c’est là, dans un petit rendez-vous de chasse qui lui servait de bivouac, au milieu des soucis d’une opération à laquelle il était associé et dont il sentait le péril, c’est là qu’il recevait une visite inattendue. Celui qui se présentait prenait le simple nom de colonel Lutteroth. Il ne fut pas d’abord reconnu par le général. C’était le prince de Joinville. Il était allé vainement à Tours demander du service, il n’avait pas réussi à voir le général d’Aurelle, il venait auprès de Martin des Pallières. Il rappelait au général qu’autrefois, dans des temps moins sombres, il avait eu la chance de l’aider à se distinguer au début de sa carrière au Maroc ; il ne lui demandait ni grade, ni position, il le suppliait seulement de le laisser se perdre parmi les volontaires de ses avant-postes. « Qui me reconnaîtra ? Vous ne m’avez pas vous-même reconnu, » disait-il. Le général était profondément ému, et ce n’est