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prévoyaient les redoutables conséquences ! Tant que la concentration pouvait s’accomplir sans péril, sans grande difficulté, on la refusait aux chefs militaires ; maintenant qu’elle était devenue impossible, on les pressait de la réaliser. Le 2 décembre au soir, en pleine défaite, M. de Freycinet rendait au général d’Aurelle le commandement direct de corps d’armée qu’on ne pouvait plus rallier ; le 3 au soir, il lui demandait de concentrer des forces déjà coupées par l’ennemi, — et le lendemain encore M. Gambetta allait écrire au général d’Aurelle avec une étourderie présomptueuse que la gravité des choses semblait exalter : « Jusqu’ici vous avez été mal engagé et vous vous êtes fait battre en détail ; mais vous avez encore 200,000 hommes en état de combattre, si leurs chefs savent par leur exemple et par la fermeté de leur attitude grandir leur courage et leur patriotisme. » Parler de 200,000 hommes, c’était bien la plus puérile et la plus cruelle des dérisions. Malheureusement on était à un de ces instans où l’emphase des paroles ne sert à rien. D’heure en heure le cercle se resserrait autour d’Orléans, l’ennemi avançait. Le général d’Aurelle sentait le péril, il comprenait que, si l’on voulait échapper à un dernier désastre, il n’y avait plus qu’un parti à prendre, un parti extrême, douloureux, mais inexorablement imposé par les circonstances, — l’évacuation d’Orléans.

Il n’y avait point à hésiter, et alors dans cette nuit du 3 au 4 décembre commençait une sorte de dialogue fiévreux, qui était un véritable drame, entre ce vieux général, placé dans la situation la plus terrible, et les dictateurs de Tours, qui jugeaient tout du haut de leurs illusions. D’Aurelle faisait savoir à Tours qu’il n’y avait plus qu’à quitter Orléans, et M. Gambetta lui répondait : « Votre dépêche de cette nuit me cause une douloureuse stupéfaction. Je n’aperçois dans les faits qu’elle résume rien qui soit de nature à motiver la résolution désespérée par laquelle vous terminez… Opérez, comme je vous l’ai mandé, un mouvement général de concentration… Ne pensez qu’à organiser la lutte et à la généraliser… » D’Aurelle insistait en disant qu’il était sur le terrain, qu’il pouvait juger les choses mieux qu’on ne le faisait à Tours, et on lui répondait par une dépêche astucieuse où le gouvernement s’étudiait à se dégager d’avance lui-même pour rejeter toute la responsabilité des événemens sur le général en chef.

Un moment pourtant, au milieu des douloureuses émotions qui l’agitaient, le général d’Aurelle se fit une dernière illusion et crut qu’il pourrait tenter une résistance désespérée. Il vit bientôt que tout lui manquait. Les bataillons fondaient sous la main des chefs. Les hommes se débandaient et se dispersaient dans la ville. Les officiers, interpellés par les généraux, répondaient : « Nos soldats n’en