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contraire se présentait comme la nouvelle Jérusalem tant attendue. Rothmann en ouvrait les portes à ceux qui se déclaraient les élus du Seigneur.

L’introduction des doctrines anabaptistes dans la cité westphalienne réveilla l’agitation religieuse et annula la victoire qu’avaient remportée les luthériens. Tandis que ceux-ci, pour en finir avec l’opposition des dissidens, s’arrêtaient à l’idée d’une grande conférence publique où les principes soutenus par les adversaires du baptême des enfans seraient débattus devant des docteurs choisis pour arbitres, comptant sur une victoire pareille à celle que Bucer avait remportée au synode de Strasbourg, tandis que Rothmann était prêt à se rendre à Cassel, chez le landgrave, pour s’y entendre sur un arrangement à l’amiable, le soulèvement auquel poussaient depuis plusieurs semaines les écrits des Wassenbergeois et leurs émissaires éclata tout à coup. Les prédicans exilés reparurent, au mépris de l’autorité municipale, et se mirent en mesure de reprendre les églises dont ils avaient été dépossédés. Deux des principaux pasteurs luthériens de la ville, Brixius et Wertheim, les actifs collaborateurs de Van der Wieck dans ses efforts pour l’orthodoxie évangélique, furent contraints d’abandonner leurs paroisses. Une troupe de femmes se porta chez les bourgmestres, exigeant par des cris et des menaces que Rothmann fût réinstallé dans sa chaire, qu’on éloignât de Munster les prédicateurs appelés de la Hesse. L’ancien chapelain de Saint-Maurice affectait de résister aux vœux de la multitude ; il ne se sentait plus, disait-il, la force de ramener les hommes à l’observation de l’Évangile ; au demeurant, il s’en remettait à la volonté de Dieu. Peut-être en tenant ce langage Rothmann était-il plus sincère qu’on ne serait disposé à le croire. Il se voyait débordé ; sa popularité entrait dans une phase décroissante. L’initiative de la révolution qui se préparait ne lui appartenait pas. Le mouvement était parti de Hollande, où la folie anabaptiste arrivait à son dernier paroxysme. Là se trouvaient ceux qui allaient prendre à Munster la suprématie spirituelle et temporelle. En se faisant le disciple des melchiorites, en accédant à leurs projets, Rothmann abdiquait son caractère de chef ecclésiastique et d’inspirateur religieux de la cité westphalienne ; il passait au second rang. Sans doute il pouvait participer encore à la faveur du peuple, mais il cessait d’en être le guide. Ce rôle devait revenir à l’un de ces enthousiastes hollandais qui apportaient à une population toujours altérée de nouveaux enseignemens théologiques un breuvage plus excitant et d’une saveur moins épuisée que les sermons déjà arriérés de Rothmann.

Cette nouvelle idole de la multitude fut Jean de Leyde. Il ne parut tout d’abord que comme le précurseur ou le lieutenant du pro-