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cendie, tandis qu’au-dessus des flammes planait le cavalier de l’Apocalypse armé du glaive. En présence de cette foule délirante, les pasteurs luthériens demeurés à Münster se sentirent pris de compassion ; redoutant, comme naguère leurs coreligionnaires, que la victoire sur l’émeute n’amenât le triomphe de la réaction catholique, ils s’entremirent pour arrêter toute collision et écarter tout recours à la force. Leur intervention eut un plein succès. Un accord fut conclu entre le sénat et les anabaptistes, qui obtinrent la reconnaissance officielle du droit de pratiquer librement leur religion.

Nulle part les sectaires n’avaient conquis un pareil avantage : il eut pour effet d’enfler outre mesure leurs espérances et d’attirer chaque jour dans la ville un plus grand nombre de leurs adhérens. Les étrangers affluaient de tous côtés : maris convertis à la doctrine de Mathys et qui avaient abandonné leurs femmes parce qu’elles refusaient d’embrasser leur foi nouvelle, épouses qui rompaient le lien conjugal pour ne plus vivre avec ceux qu’elles regardaient comme impies, enfans dont la jeune imagination s’était éprise des paroles du prophète et qui fuyaient le foyer paternel, familles entières qui, poussées par un enthousiasme soudain, ne pensaient plus qu’à entrer dans la Jérusalem céleste. Tous ces émigrés venaient se faire inscrire dans la commune, en sorte qu’au bout de quelques semaines les sectaires y étaient en majorité, et que, lors de la réélection du sénat et de la municipalité, leur parti eut le dessus. Knipperdollinck fut choisi pour l’un des bourgmestres.

L’anabaptisme était donc désormais maître de Münster. A dater de ce moment, les sectaires ne parlèrent plus de liberté religieuse et des conditions auxquelles ils s’étaient engagés en obtenant la tolérance de leur culte, ils n’eurent plus qu’un but, écraser le parti qui leur était contraire. Le 27 février, une troupe d’énergumènes en armes se réunissait à l’hôtel de ville pour délibérer sur les mesures à prendre; mais le peuple n’avait d’autre volonté que celle de Mathys, qui parlait au nom du Christ. Pendant qu’on débattait les divers moyens proposés, le prophète semblait plongé dans une inexplicable somnolence. Tout à coup il se réveille de cette apathie; il déclare que Dieu veut qu’on chasse immédiatement de Münster tous les infidèles qui refuseront de se convertir, et termine son discours par ces mots : « Dehors les enfans d’Ésaü, l’héritage appartient aux fils de Jacob ! » Cette révélation est accueillie par des marques d’approbation frénétique. La convoitise et la haine se coalisent avec le fanatisme pour faire sanctionner une mesure qui doit livrer entre les mains de quiconque se prononce pour la foi nouvelle les biens et les emplois des catholiques et des luthériens expulsés. Le cri : dehors les impies ! se répète dans toute la ville. Une populace fu-