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à Choiseul par échappées. « C’est un coup de partie, lui disait-il ; depuis que j’ai ainsi fixé mes idées, je suis tranquille, et ma tête est nette. Au bout du compte, si l’état périt, ce ne sera pas ma faute, mais je veux au moins mourir comme le chevalier sans peur et sans reproche. Soyons nobles, mais ne soyons pas dupes. Sommes-nous donc obligés à porter seuls le poids du chaud et du jour ? On paraît vouloir à Vienne tirer de nous la quintessence sans s’embarrasser de ce que nous deviendrons. On nous regarde comme des créanciers ruinés dont il faut tirer le dernier écu avant la banqueroute. L’état, vos amis, tout exige que nous sortions du précipice où nous descendons à pas de géant. Veut-on attendre que le soulèvement de la France rompe avec éclat l’alliance ? » La campagne finie, quand il fallut régler l’avenir et se décider, Bernis tenta un effort à Vienne et fit passer à Choiseul la copie d’une convention rédigée sur les bases que nous venons d’indiquer, « Il est temps de rompre la glace, lui écrivait-il le 23 septembre ; il faut perdre l’idée de partager la peau d’un ours qui a su mieux se défendre qu’on n’a su l’attaquer. Je vous entasse toutes mes idées, et je vous les donne à digérer pour en faire un chyle convenable aux estomacs des Autrichiens. Renonçons aux grandes aventures, notre gouvernement n’est pas fait pour cela. Ce sera bien assez de conserver son existence, et cela doit nous suffire. Je vous avoue que je n’étais pas né pour vivre dans ce siècle, et que je n’aurais jamais cru tout ce que je vois. Mme de Pompadour me dit quelquefois de me dissiper et de ne pas faire du noir. C’est comme si l’on disait à un homme qui a la fièvre ardente de n’avoir pas soif. » Les dépêches les plus pressantes accompagnaient les déclarations de la correspondance particulière. « Depuis le passage du Rhin et la descente des Anglais à Saint-Malo, le crédit et la confiance sont tombés à un point à effrayer. Avec 100 millions d’effets, le contrôleur-général est à la veille tous les jours de manquer. Nos places frontières ne sont pas pourvues, nous n’avons plus d’armées, l’autorité languit, et le nerf intérieur est entièrement relâché. Les fondemens du royaume sont ébranlés de toutes parts. Notre marine est détruite, les Anglais se promènent sur nos côtes et les brûlent ; le commerce maritime, qui faisait entrer 200 millions par an, n’existe plus ; nous avons à craindre la perte totale de nos colonies, et nous serons réduits au rang des secondes puissances de l’Europe. Au bout du compte, le roi n’est que l’usufruitier de son royaume, il a des enfans, et les peuples doivent être comptés dans ce nombre. Levez le bandeau de l’orgueil, faites comprendre qu’il vaut mieux exister quand on est grande puissance que de se laisser détruire. On se relève de sa faiblesse, on profite de ses fautes, et on se gouverne mieux. » Ce lan-