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particuliers à la confiance de votre majesté : il est militaire en même temps qu’il est politique, il peut donner des plans à la guerre ou rectifier ceux qui sont proposés. Vos affaires ont besoin d’activité, de nerf, de résolution. Les pierres mêmes s’élèvent contre l’administration de la marine… Questionnez vos ministres et décidez promptement, car la chandelle brûle par tous les bouts. »

Le 9 octobre, Louis XV fit une réponse qu’on a recueillie avec les lettres de Bernis ; il s’y explique, non sans fermeté, sur le système pacifique de l’abbé et sur sa démission. « Je suis fâché, monsieur l’abbé-comte, que les affaires dont je vous charge affectent votre santé au point de ne pouvoir plus soutenir le poids du travail. Certainement personne ne désire plus la paix que moi, mais je veux une paix solide et point déshonorante ; j’y sacrifie de bon cœur tous mes intérêts, mais non ceux de mes alliés. Travaillez en conséquence de ce que je vous dis, mais ne précipitons rien pour ne pas achever de tout perdre en abandonnant nos alliés si vilainement. C’est à la paix qu’il faudra faire des retranchemens sur toutes les sortes de dépenses, et principalement aux déprédations de la marine et de la guerre, ce qui est impossible au milieu d’une guerre comme celle-ci. Contentons-nous de diminuer les abus sans aller tout bouleverser, comme cela sera nécessaire à la paix. Je consens à regret que vous remettiez les affaires étrangères entre les mains du duc de Choiseul, que je pense être le seul en ce moment qui y soit propre, ne voulant absolument pas changer le système que j’ai adopté, ni même qu’on m’en parle. Écrivez-lui que j’ai accepté votre proposition, qu’il en prévienne l’impératrice, et qu’il voie avec cette princesse les personnes qui lui seraient les plus agréables pour le remplacer soit dans le premier, soit dans le second ordre ; cela doit plaire à l’impératrice et la convaincre de mes sentimens, qu’elle a fait naître si heureusement. » Bernis se hâta d’envoyer à Choiseul, avec une copie de cette lettre du roi, des lettres de rappel qu’on trouvera dans la correspondance diplomatique. Il lui écrivait plus familièrement pour l’engager à presser son retour : « Je suis excédé de la platitude de notre temps. Je vous attends comme le messie… Mon caractère me porte tout naturellement à vivre tranquille ; je suis parvenu à la plus grande fortune par la force et le bonheur des circonstances, mais la vie privée me convient plus qu’à tout autre. Ou faire de grandes choses, ou planter mes choux, voilà ma devise, et je n’en prendrai point d’autre. Je vous promets amitié et union, c’est ma profession de foi. Le grand point est que vous êtes agréable au roi… Quant à moi, je suis à vous corps et âme. »

Le jour même où Bernis recevait du roi la lettre qui acceptait sa démission, on lui apprenait de Rome qu’il était cardinal. Cette