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cevait rigoureusement les intérêts. Il ne tarda pas à devenir un des princes les plus riches de l’Allemagne : on évaluait son trésor à 50 millions. Aussi était-il le banquier de la Prusse et de tous ses voisins. Il eut pour principal administrateur de son immense fortune Mayer-Anselme Rothschild, premier du nom. Il avait démêlé dans ce petit banquier Israélite une activité, une capacité, une probité à toute épreuve. Il le créa d’abord hofagent, puis oberhofagent (agent supérieur de la cour). Rothschild consacra toute son intelligence et son honnêteté à faire fructifier ce bien mal acquis. Quand les Français s’emparèrent de la Hesse, il devint le dépositaire d’une partie du trésor, et au péril de sa vie ou de sa liberté parvint à la dérober aux recherches de la police napoléonienne.

On conçoit qu’un tel prince dût éprouver peu de sympathies pour la révolution française. Il avait toujours eu de l’aversion pour les idées et les modes de France. Comme le maniaque Paul Ier de Russie, il proscrivit les chapeaux ronds, les grandes cravates, les pantalons, autant d’insignes jacobins, comme chacun sait. La littérature, qui jusqu’alors était tout au plus tolérée dans ses états, passa au rôle de persécutée. Il se montra tout disposé à aider la Prusse et l’Autriche dans leur croisade contre la France ; mais à quel prix ? D’abord il lui fallait le chapeau électoral. Il prétendait en outre que le roi de Prusse prît à sa charge le contingent hessois de 6,000 hommes, et que, si le duc de Brunswick donnait sa démission de généralissime, il recueillît sa succession. Ces négociations traînèrent plus d’un mois ; Guillaume s’engagea finalement à entretenir lui-même son armée moyennant une forte indemnité. Les Hessois firent la campagne de France (1792); aussi à l’arrivée de Custine sur le Rhin le landgrave fut un des souverains qui trouvèrent prudent de quitter leur résidence. Toutefois les proclamations républicaines répandues en Allemagne, les invitations aux soldats hessois de se joindre à l’armée française, la promesse de leur donner une bonne solde, les droits de l’homme et « pas de coups de bâton, » ne produisirent que peu d’effet. Les troupes hessoises se distinguèrent à la reprise de Francfort, au siège de Mayence, en Belgique, et en 1793 elles avaient dû passer à la solde de l’Angleterre.

Le landgrave fit, presque en même temps que la Prusse, sa paix avec la république française (1796), promit de ne plus fournir de troupes aux Anglais, céda ses possessions de la rive gauche, et en 1803 reçut le chapeau électoral et un agrandissement considérable. Quand l’empire fut proclamé, Guillaume fut mis en demeure de prendre une résolution sur la politique à suivre vis-à-vis de la France nouvelle ; il fallait opter pour la clientèle prussienne ou la