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le discrédit où était tombé le gouvernement de l’église. Les princes étaient lassés des agitations importunes et des prétentions excessives de la cour de Rome, et le respect de l’apostole était perdu dans l’esprit des populations. La réforme fut pour un grand nombre une lutte d’indépendance et d’affranchissement. D’autre part, si l’église n’avait point possédé d’immenses territoires en Allemagne, la sécularisation de ces biens n’eût point tenté la cupidité de ceux qui embrassèrent la réforme pour agrandir leurs domaines. Frédéric II de Prusse a pu écrire que, « si l’on veut réduire les causes des progrès de la réforme à des principes simples, on verra qu’en Allemagne ce fut l’ouvrage de l’intérêt; » et il poursuit avec cynisme : « Joachim II (de Brandebourg) acquit par la communion sous les deux espèces les vastes évêchés de Brandebourg, de Havelberg et de Lebus, qu’il incorpora à la Marche[1]. » Il a oublié l’acquisition du duché de Prusse par Albert son arrière-cousin, grand-maître de l’ordre teutonique. Tout en reconnaissant les passions des adversaires du catholicisme, on ne peut donc méconnaître les fautes du gouvernement de la catholicité.

C’est ce que comprit enfin la cour de Rome, éclairée par de sages et respectables personnages, mémoratifs des avertissemens donnés jadis par le vénérable Pierre Damien et par saint Bernard en d’analogues circonstances. Mais de même que la politique s’était emparée de la réforme, elle s’empara de la réaction catholique, les affaires de l’Europe furent plus brouillées que jamais, et les intérêts de l’église parurent compromis à tel point que le cardinal Morone, partant pour le concile de Trente, disait à un ambassadeur de Venise : « C’en est fait de la religion catholique[2]. » De nobles efforts furent faits alors à Rome pour la régénération de l’église. Des papes dignes de leur mission proscrivirent résolument le népotisme, rétablirent l’autorité des bons exemples, l’intégrité des mœurs, la régularité de l’administration. Le choix des membres du sacré-collège fut justifié par la piété, le savoir, la considération publique ; grande réforme morale qui se personnifie principalement en deux hommes dignes de la vénération publique : Charles Borromée et Pie V[3]. M. de Hübner a retracé ce tableau d’après les correspondances contemporaines avec un intérêt saisissant. On s’étonne, dit-il, du succès, et plus encore du courage de ceux qui entreprirent cette transformation des mœurs de la cour romaine. On apprend, en y regardant de près, à ne jamais désespérer des grandes causes réputées perdues.

  1. Voyez les Mémoires de Brandebourg.
  2. Voyez l’ouvrage de M. de Hübner, t, Ier.
  3. Voyez l’Histoire de Pie V (de famille obscure, comme Sixte-Quint), par M. de Falloux, 1844, 2 vol. in-8o, et 1859, 2 vol. in-12.