Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/493

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE
BRIGADIER TRICKBALL

La guerre finie et mon bataillon licencié, je partis pour les Pyrénées, espérant y trouver le repos dans un isolement complet. Survint la commune, qui troubla ma sécurité. Si l’on s’avisait de rappeler mon régiment? Bah! en ma qualité de Parisien, j’avais la naïveté de croire que la querelle s’arrangerait, et je me moquais des terreurs de la province. J’habitais un hameau perdu dans la montagne. Si vous aimez la solitude, allez aux Pyrénées et faites-vous conduire à Saint-Jean-de-Rial. En laissant ce village à votre gauche et en vous dirigeant vers le nord-est, vous trouverez à mille mètres du versant espagnol, dans une gorge bien abritée, un bourg de trente faux. C’est là que je demeurais, chez le brigadier Trickball.

Trickball était gendarme. Appelé à Paris après le désastre de Sedan, il obtint la faveur de rentrer à son corps, le 2e régiment d’artillerie de marine, où il retrouva d’anciens chefs qui surent l’apprécier, et c’est au fort de Montrouge, où je remplissais les fonctions de lieutenant du génie, que je fis sa connaissance. Pendant le bombardement, Trickball commandait une pièce de gros calibre, qui foudroyait les Prussiens établis sur les hauteurs de L’Hay. Trickball pointait avec une admirable précision. Pas un de nos boulets qui n’ait frappé en plein l’épaulement de la redoute allemande, dont les feux furent sept fois éteints dans l’espace de trois semaines. Dans ce duel à coups de canon, Trickball se faisait un point d’honneur d’avoir le premier et le dernier mot. Aussi tous les matins réveillait-il l’ennemi, et le soir il attendait que son adversaire eût fait silence pour se taire lui-même. Une fois, il fut atteint par un éclat d’obus. La blessure était légère; mais, comme de