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— Ainsi, mon général, vous n’avez jamais su ce que la fille du brigadier était devenue.

Le général haussa les épaules d’une manière significative et se mit à tambouriner sur les vitres. À ce moment, une vingtaine de prisonniers fédérés entraient dans la cour, escortés par un piquet de chasseurs. — Tas de gredins ! murmura le général.

Je me levais pour regarder, lorsque soudain le général recula de trois pas sans lâcher le rideau que sa main soulevait : — Malédiction! — cria-t-il, et il se précipita hors de la chambre. En même temps un cri qui n’avait rien d’humain sortit du préau. De la fenêtre, je vis le général courant à Trickball. Celui-ci s’était élancé d’un bond vers son cheval, et fouillait dans les fontes de la selle. Il en arracha ses pistolets, mais à cet instant le poignet de fer du général s’abattit sur lui. Quelques soldats attirés par le cri se dirigeaient en toute hâte vers le préau. Le général se montra, et aussitôt l’ordre se rétablit. Cependant je cherchais en vain le motif de cette scène. Je ne pus rien découvrir d’extraordinaire dans la cour. Je remarquai seulement qu’un prisonnier fédéré était séparé de ses compagnons. Dix fantassins le surveillaient baïonnette au bout du canon. Le général remonta l’escalier quatre à quatre. — Faites venir le commandant du piquet de chasseurs!

— Monsieur, dit le général dès que le commandant parut, savez-vous qui est cet officier de la commune que vos chasseurs serrent de si près?

— C’est un étranger, mon général. On le dit Espagnol. Avant de se rendre, il a tué quatre de mes hommes, et à deux reprises il a tenté de s’échapper.

— Son nom?

— Ses camarades l’appellent Francesco.

— Il suffit, monsieur. Mettez cet homme aux fers, et qu’on le garde à vue !

Pendant dix minutes environ, le général, en proie à une agitation extraordinaire, se promena de long en large, les sourcils froncés, les lèvres serrées. Tout à coup il s’arrêta brusquement; d’un coup de pouce, il fit pirouetter un de ces tourniquets en fer qui Servent à fixer les volets, et il sonna.

— Qu’on aille chercher le brigadier Trickball, dit-il. — J’étais caché dans l’embrasure de la croisée, derrière un rideau, de telle façon que le brigadier ne pût m’apercevoir.

— Tu es de service? lui demanda le général.

— Oui, mon général.

— Va trouver le commandant de chasseurs et remets-lui ce papier. Il te livrera l’officier fédéré. Conduis-le à la division, et, s’il