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bouge !.. Tu m’entends ? — Le geste du général parla clairement.

— Oui, mon général, répondit le brigadier, dont les yeux étincelèrent.

— Mais, mon général, m’écriai-je dès que Trickball eut fermé la porte…

Le général répondit d’un ton sévère : — Monsieur, cet homme est hors la loi. Je puis le faire fusiller, où, quand et comme il me plaira.

Lorsque Trickball monta en selle, nous étions, le général et moi, dans le préau. On amena l’officier fédéré. Il avait les fers aux mains. C’était un fort bel homme avec une petite moustache blonde, et l’air doux et poli. Je pense qu’il reconnut Trickball, car tout son corps tressaillit convulsivement. Trickball resta impassible. Il pliait avec soin un carré de papier qu’il cacha sous la plaque de son ceinturon. C’était le billet réglementaire que l’on remet à tout gendarme chargé de conduire un malfaiteur. En échange de ce billet et du prisonnier, le gendarme reçoit un bulletin garant de sa fidélité.

— Marchons, dit le brigadier d’une voix ferme.

Nous les suivîmes quelque temps des yeux. À courte distance d’un pli de terrain bordé par des buissons touffus, je crus voir Trickball se pencher vers l’arçon comme pour décrocher son mousquet. Le général me saisit par le bras. — Rentrons, dit-il, le dîner est servi…

On était au dessert lorsqu’un cheval entra au grand trot dans la cour et s’arrêta dans le préau. Un instant après, l’escalier craqua sous les bottes pesantes du cavalier ; la porte s’ouvrit. C’était Trickball ; il marcha droit à la table, et, posant sur la nappe un papier qu’il déplia soigneusement de sa poche : — Voilà, mon général, dit-il.

— Quoi ? dit le général.

— Le reçu du prisonnier, mon général.

— Comment ? tu ne l’as pas ?..

— Ah ! mon général, le misérable n’a pas bougé.


HORACE STAPFER.