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compromettre de façon à rendre fort difficile, sinon impossible, le rétablissement de la monarchie. De son côté, le centre gauche, dans les adresses qu’il provoque, appuie ouvertement et résolument M. Thiers en encourageant sa politique, résumée dans ce mot de « république conservatrice, » prononcé à la fin de la session. Les républicains modérés, avec un esprit de conduite qu’ils n’avaient pas toujours montré, sentent bien que ce qu’ils ont de mieux à faire, c’est de ne point créer des difficultés au gouvernement, de se rallier à lui, de le soutenir, et avec une « ardeur de néophytes, » comme on le disait un jour, ils poussent même parfois cette sagesse jusqu’à la soumission la plus exemplaire. Les radicaux enfin, quelques-uns du moins, voudraient bien essayer de se calmer, de ménager M. Thiers, qui a le mérite de faire vivre la république. Ils sont bientôt emportés par leur naturel, ils sont poussés par ceux qui les suivent, ils éprouvent le besoin de l’agitation quand même, et ils rendent au gouvernement, qui est obligé de réprimer leurs excentricités, le service de n’être pas trop avec lui, de rester ce qu’ils sont, les représentans de la révolution en permanence.

De quoi s’agit-il au fond dans cette série de manifestations qui se produisent depuis quelque temps sous toutes les formes, en dehors de la vie publique officielle ? La vraie et grande question est évidemment toujours la constitution du gouvernement définitif et la manière d’y arriver. Que les hommes de la droite exhalent des plaintes amères en voyant s’évanouir leurs espérances, qu’ils laissent percer un certain découragement dans les manifestes qu’ils adressent à leurs électeurs, rien de plus simple. Ils devraient seulement en venir à comprendre que, si la réalisation de leurs vœux est devenue pour l’instant si difficile, c’est par leur faute, c’est parce qu’ils ont fait tout ce qu’il fallait pour préparer à leur cause une inévitable défaite. Peut-être ont-ils laissé échapper une occasion unique durant ces deux cruelles années qui viennent de s’écouler ; dans tous les cas, depuis ce moment, ils n’ont plus offert au pays que le spectacle de leurs divisions et de leur impuissance. Ils n’ont cessé de présenter à la France une politique qui devait la froisser dans ses instincts, comme dans ses intérêts les plus immédiats, et même, à l’heure qu’il est, il y a des royalistes occupés à faire de la propagande dans les contrées qu’ils représentent en annonçant qu’avant un an la France prendra les armes pour aller rétablir la souveraineté temporelle du saint père à Rome. Est-ce ainsi qu’on prétend populariser la monarchie en l’identifiant avec l’idée d’une guerre nouvelle pour aller restaurer le pape ? Se figure-t-on rendre le gouvernement actuel bien suspect aux yeux des populations en montrant qu’il a eu la sagesse de résister à de telles suggestions, de comprendre autrement les intérêts supérieurs de la France ?

À dire vrai, on est un peu embarrassé à l’égard de M. Thiers, on ne voudrait pas méconnaître les services qu’il a rendus ; mais, d’un autre