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c’est-à-dire d’avoir à lui sa demeure et son champ. Les lois anglaises ont pour résultat d’enlever la propriété foncière des mains de ceux qui la cultivent pour l’accumuler en immenses latifundia au profit d’un petit nombre de familles d’une opulence royale. Les lois françaises au contraire ont pour but, par le partage égal des successions, de faire arriver le grand nombre à la possession du sol; mais ce résultat n’est atteint que par un morcellement excessif qui fréquemment découpe les champs en languettes presque inexploitables, et qui s’oppose ainsi à un système rationnel de culture. Les lois serbes, en maintenant les communautés de familles, font de tout homme le co-propriétaire de la terre qu’il fait valoir, et conservent aux exploitations l’étendue qu’elles doivent avoir. Grâce à l’association, on réunit les avantages de la grande culture et de la petite propriété : on peut cultiver avec les instrumens aratoires et les assolemens en usage dans les grandes fermes, et en même temps les produits se répartissent entre les travailleurs comme dans les pays où le sol est morcelé entre une foule de petits propriétaires.

Les charges sociales et les accidens de la vie sont bien moins accablans pour une association de familles que pour un ménage isolé. L’un des hommes est-il appelé à l’armée, atteint d’une maladie grave ou momentanément empêché de travailler, les autres font sa besogne, et la communauté pourvoit à ses besoins, à charge de revanche. Que par une cause quelconque l’individu isolé ne puisse gagner son pain quotidien, et le voilà, lui et les siens, réduits à vivre de la charité publique. Chez les Slaves méridionaux, avec le système de la zadruga, il ne faut ni bureaux de bienfaisance comme sur le continent, ni taxe des pauvres comme en Angleterre. Les liens et les devoirs de la famille remplacent la charité officielle. Le travail ici n’est pas une marchandise qui, comme toutes les autres, se présente sur le marché pour y subir la loi parfois très dure de l’offre et de la demande. Très peu de bras cherchent de l’emploi, car il n’y a presque point de salariés. Chacun est co-propriétaire d’une partie du sol, et s’occupe ainsi à faire valoir Son propre fonds. Il n’y a par suite ni paupérisme endémique, ni même misère accidentelle.

Les associations de familles permettent aussi d’appliquer à l’agriculture la division du travail, d’où résulte une économie de temps et de forces. Dans trois ménages isolés, il faut trois femmes pour veiller aux soins domestiques, trois hommes pour aller au marché vendre et acheter les produits, trois enfans pour garder le bétail. Que ces trois ménages s’unissent sous forme de zadruga, une femme, un homme, un enfant suffira, et les autres pourront se livrer à des travaux productifs. Les associés travailleront aussi avec plus d’ar-