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stance et à une certaine prudence politique. C’est un exemple unique que celui de ces offices administratifs qui ont pris l’habitude de se réunir pour régler directement leurs affaires; ils en sont venus à traiter leurs propres intérêts sans recourir à la diplomatie. On conçoit que l’union télégraphique, pour conserver la position qu’elle a conquise, doit se tenir strictement sur le terrain administratif; il lui faut éviter avant tout d’éveiller les susceptibilités de la diplomatie régulière. Dès le début, le délégué de la Belgique signalait à ses collègues cette particularité délicate. « Il attire l’attention sérieuse de l’assemblée, dit le procès-verbal, sur la situation toute spéciale faite aux administrations télégraphiques, qui, seules parmi les services publics, ont la faculté de traiter directement les questions internationales qui les intéressent le plus. Cette situation, il importe de ne point la compromettre; il faut donc éviter de sortir du domaine administratif pour se lancer, sous forme de vœux ou autrement, dans des délibérations qui, par leur nature politique, appartiennent à un autre ordre d’idées. »

C’était au sujet d’une proposition norvégienne que l’on faisait ainsi appel à la prudence de l’assemblée. La Norvège avait demandé qu’une disposition explicite du traité assurât aux câbles sous-marins la protection des gouvernemens et les neutralisât en cas de guerre, le Portugal insistait dans le même sens; mais la grande majorité des délégués pensa qu’il y aurait là une ingérence dans des matières d’un ordre essentiellement diplomatique. On convint donc d’abord que l’on s’abstiendrait de toute délibération et de toute mention sur ce sujet. Un incident toutefois modifia l’opinion des délégués sur la fin de la conférence. Le gouvernement des États-Unis avait depuis quelque temps déjà pris en main la cause de la protection des câbles. Dans le mois de janvier 1872, M. Cyrus Field, un des principaux promoteurs des entreprises de télégraphie sous-marine, débarquait à Rome, apportant à la conférence une lettre de Samuel Morse, le doyen, le patriarche de la télégraphie. Le vieux professeur conjurait la conférence de ne point se séparer avant d’avoir demandé à toutes les nations de considérer la télégraphie comme une chose sacrée en guerre comme en paix. Cette prière transatlantique eut son effet, et la conférence, sans en faire mention dans le traité, inscrivit du moins dans son procès-verbal un vœu pour appeler l’attention des gouvernemens sur les propositions de MM. Morse et Cyrus Field.

Pour ce qui est des travaux techniques de la conférence, nous pouvons les résumer en disant qu’elle a piétiné sur place ou tout au moins tourné en cercle. C’est ainsi qu’elle a achevé de détruire le système des dépêches « recommandées, » institué par la confé-