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l’Espagne, à Joseph pour le royaume de Naples, à Junot pour la Toscane, à Davout pour l’Allemagne du nord. « Du reste, ajoutait-il, je ne puis regarder une insurrection dans le pays de Cassel, au mois de janvier, que comme un événement heureux. La haine que les souverains de ce pays ont toujours nourrie parmi les habitans contre la France devait la faire prévoir. Il vaut mieux qu’elle ait éclaté dans ce moment que lorsque les Anglais auraient pu faire une descente sur l’Elbe. » Il reprochait à Lagrange de n’avoir pas enlevé les fusils comme il l’avait tant de fois recommandé ; il lui demandait avec insistance un rapport détaillé où l’on ne devait « rien lui cacher; » enfin il annonçait l’arrivée de renforts. Quatre jours après (12 janvier). Napoléon écrivait à Clarke qu’il avait 14,000 hommes à Cassel.

Il paraît que Lagrange n’envoya pas immédiatement le rapport demandé, car l’empereur s’impatiente : le courrier est passé à Cassel, et Lagrange n’en a pas profité ! Aussi n’en est-il que plus disposé à prendre au sérieux les rumeurs exagérées sur l’événement. Maintenant il demande dans ses lettres à Berthier qu’Eschwege et Ilersfeld soient brûlés, soixante hommes fusillés, un nombre triple arrêté et conduit en France, les troupes autorisées à vivre à discrétion dans le pays; puis, s’exaltant dans la pensée des « outrages faits à ses aigles, » il veut que « deux cents personnes au moins paient de leur tête cette insurrection. » — « L’officier qui a été leur chef doit périr. Nous sommes trop vieux dans les affaires pour croire que l’on est chef malgré soi. » Heureusement pour le capitaine von Usslar qu’il put s’enfuir à temps; plus tard nous le retrouvons réconcilié avec les Français et capitaine au service du roi Jérôme.

Lagrange se vit obligé pourtant d’envoyer des détachemens dans les localités qui s’étaient insurgées, afin d’y enlever pendant la nuit les magistrats et les forcer à donner les noms des coupables. Un certain nombre de paysans et de soldats furent arrêtés et conduits chargés de chaînes à Mayence. Rien que dans le pays de la Werra, cinq individus, tous militaires, furent traduits devant une cour martiale et fusillés. Schumann, le fourrier devenu général, fut une autre victime. La ville d’Hersfeld devait être pillée et brûlée. Le général Barbot eut la condescendance de laisser le soin d’exécuter cette mesure au commandant de chasseurs badois : celui-ci se contenta d’incendier une vieille maison pleine de paille. Les soldats badois, compatriotes cependant de ceux que nous avons eus naguère en Franche-Comté, ne profitèrent pas de la permission de piller. Voilà comme un Lagrange et un Barbot savaient exécuter les ordres rigoureux échappés à l’impatience de Napoléon. Au lieu de centaines de victimes, il y en eut au plus une dizaine. C’est trop assurément pour l’humanité ; toutefois les Prussiens ont exécuté chez nous de