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même aspect; elles sont aujourd’hui ce qu’elles étaient au XVIe siècle.

Les gens qui vivaient là avaient des ennemis partout, au nord en Hongrie, à l’est en Bosnie, en Raschie, à l’ouest à Ancône, à Bari, souvent à Venise. Se renfermer chez eux, se cacher derrière de grands murs, sortir quand la bonne fortune le permettait, résister aux agresseurs s’ils le pouvaient, sinon transiger, se soumettre à demi, se faire oublier, telle était leur vie. Ils n’ont jamais appartenu à personne, ils ont appartenu à tout le monde. L’empire byzantin leur imposait un tribut, mais ces cités étaient vassales et non sujettes : ensuite sont venus les Croates; les Hongrois les ont pillées; Venise leur a vendu sa protection; l’invasion des Turcs les a disputées à Venise; l’empire français les a données à l’Autriche, reprises et perdues. Cette histoire est une suite d’épisodes où l’on s’oriente mal, parce que les destinées d’un district sont rarement celles du canton voisin, parce que dans les événemens tout est isolé, fragmenté. Au commencement de ce siècle on trouvait encore près de Sebenico une république indépendante, celle des Poglisiens; Raguse se gouvernait elle-même. Aujourd’hui les bouches de Cattaro ont d’importans privilèges. Les coutumes locales sont aussi partout différentes.

Il est cependant facile de s’imaginer ce qu’a été la vie des cités dalmates jusqu’au XVIIe siècle, époque où la vigueur des anciennes générations s’affaiblit pour laisser l’administration de Venise établir une autorité plus complète. Elles admettaient la suprématie d’un suzerain; en payant tribut, elles se gouvernaient presque toujours à leur guise. Chaque ville, chaque bourg était une petite république qui avait ses statuts. Ces constitutions sont dures, soupçonneuses, parfois barbares. On y reconnaît l’œuvre d’une noblesse bourgeoise menacée par la ville voisine, parle paysan, par le comte, qui représente d’ordinaire Venise, par le clergé, qui dépend de Rome. Contre tous ces dangers, il faut une prévoyance ombrageuse. On ne saurait nier l’autorité du comte, du moins on la limitera, on la forcera à composer avec la commune. Le doge est loin, et ses galères ne peuvent à chaque heure venir défendre ses représentans. A Curzola, dont la constitution est de 1214, le comte nomme trois juges, mais le conseil des citoyens doit approuver le choix; les trois juges, d’accord avec le comte, en nomment six; le gouvernement ainsi constitué dispose des emplois publics. Le comte du reste se conformera à la charte signée le jour où la ville a reconnu le protectorat de Saint-Marc. Il en est de même à Trau, à Sebenico, à Zara, à Lésina, à Almissa, de même partout; ces constitutions ne diffèrent que par le détail. Les conseillers doivent être fils de conseillers; il ne faut pas que le paysan enrichi entre par surprise dans la cité. Les nobles, les gens des villes, par opposition aux gens des campagnes,