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la province à la maison de Habsbourg. Cette période française, le gouvernement du provéditeur surtout, fut certainement l’époque la plus heureuse qu’ait connue la Dalmatie. Le dernier historien de la province, M. Lago, n’en parle pas sans émotion. «C’était, dit-il, une chose étrange, inconnue, un principe de vie fécond, la passion du progrès, l’amour des idées nouvelles et bonnes que le pays apprenait à connaître pour la première fois. Ce qui se fit alors en quelques mois ne s’était jamais vu, ne s’est jamais renouvelé depuis. Le mal s’y trouvait mêlé au bien; ces hommes de la révolution avaient en eux-mêmes une confiance sans mesure, mais le bien y surpassait mille fois le mal. La Dalmatie n’oubliera jamais ses bienfaiteurs. »


II.

Jusqu’en 1848, les Dalmates des villes, habitués aux mœurs italiennes, pensaient peu à leurs origines slaves; le paysan ne songeait à rien. Le réveil commença lors du soulèvement de la Croatie contre le gouvernement de Pesth, sous le ban Jellasich. La diète d’Agram en demandant la formation d’un royaume tri-unitaire qui comprendrait la Schiavonie, la Croatie et la Dalmatie, rappela aux habitans de la côte à quelle race ils appartenaient. L’état de la Dalmatie était le malaise, la torpeur; la vie au jour le jour sans progrès sensible, sans espérance quelque peu sérieuse d’un avenir meilleur, engagea un parti d’abord peu nombreux à se rallier au programme de Jellasich. L’ardeur militaire des Croates était faite pour séduire les Morlachs; tout du reste ne valait-il pas mieux que la situation présente? Ce fut en 1849 que se fonda en Dalmatie la première citonisca, société d’instruction et de propagande politique pour le progrès des idées slaves; elle s’établit à Cattaro. On sait comment finit la guerre des Croates et des Hongrois et quelle période d’apaisement suivit cette lutte où le gouvernement de Pesth restait vainqueur. Les événemens d’Italie quelques années plus tard devaient donner à la propagande slave en Dalmatie une impulsion nouvelle. La Lombardie et la Vénétie une fois perdues pour l’Autriche, la situation des Dalmates italiens devenait difficile. Ils avaient toujours vécu en relation étroite avec les provinces que cédait la maison de Habsbourg; ils allaient y étudier, ils faisaient avec elles un commerce quotidien, elles leur donnaient la plupart des fonctionnaires qui administraient le royaume. Ce qu’on appelait sur cette côtelé parti italien était resté jusqu’alors l’appui le plus sûr de l’autorité impériale. Il ne partageait pas les haines violentes de Venise ou de Milan; il n’avait aucune raison de s’y associer, — les hommes de race latine avaient fait peser sur cette côte une tyrannie trop