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les Narentais créèrent une marine qui tint tête aux Sarrasins ; les Cattarins, établis dans des montagnes abruptes, surent demander au commerce maritime sinon la richesse, du moins l’aisance, et gardèrent une autonomie presque complète durant tout le moyen âge ; mais ce fut surtout Raguse qui eut une brillante prospérité.

Fondée au VIIe siècle, cette république a subsisté jusqu’à l’année 1808. Plus favorisée que Zara, Trau, Almissa, elle se défendit contre Venise, dont cependant elle accepta parfois le représentant. Elle fut l’alliée des rois de Raschie, des Hongrois, plus tard des Turcs. Au XVIe siècle elle comptait plus de trois cents navires, traitait avec Louis XII, avec Charles-Quint. De grands malheurs l’accablèrent : sa flotte fut brûlée par les Turcs pendant leur guerre contre la maison d’Autriche ; elle répara ses désastres. Dès le XVe siècle, elle faisait le commerce au Levant et jusque dans la Mer-Noire ; elle avait une colonie à Constantinople, des comptoirs à Andrinople, à Philippopolis, dans le Balkan. Une convention signée à Brousses en 1359 avec Orchan II, alors que les progrès des Osmanlis étaient encore incertains, lui accordait le privilège de trafiquer dans tous les lieux que soumettraient les armes du Grand-Seigneur. Aujourd’hui en Thrace, on retrouve encore les tombeaux de ces marchands raguséens. La république sut si bien ménager les Ottomans qu’elle fit ajouter au traité de Passarovitz l’article qui coupe la Dalmatie en trois morceaux ; elle était ainsi défendue contre les Vénitiens par deux enclaves ottomanes. Sa constitution tout aristocratique rappelle celle de Venise ; les nobles seuls exerçaient les charges importantes, la bourgeoisie pouvait obtenir les emplois secondaires, l’artisan n’avait aucun droit. Le grand-conseil comprenait tous les patriciens qui avaient dépassé l’âge de dix-huit ans ; il nommait les magistrats, confirmait les lois, prononçait les jugemens qui entraînaient la mort ou l’exil. Le sénat, composé de quarante-cinq membres, administrait la république ; le conseil mineur exerçait le pouvoir exécutif ; le recteur placé à la tête de la république la représentait, mais ses fonctions n’étaient qu’honorifiques. Aucune charge ne durait plus d’un an. Trois provéditeurs pouvaient sous leur responsabilité suspendre pour un temps limité l’effet des lois, annuler toutes les décisions publiques. Cette petite ville à qui n’a manqué ni le génie maritime, ni l’habileté commerciale, ni la prudence diplomatique, avait le goût des lettres. Elle a été surnommée l’Athènes des Slaves du sud. Elle produisit des mathématiciens de premier ordre comme Boscovitch, des érudits aussi éminens que Bandouri, bibliothécaire du duc d’Orléans, auteur de l’Imperimn orientale. Elle eut un théâtre où on jouait dès le XVIe siècle les pièces d’Euripide, de Sophocle, de Plaute, traduites en dalmate, des tragédies imitées de l’antique, des drames em-