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REVUE DES DEUX MONDES.

Certes, à lire le discours par lequel le roi Amédée vient d’ouvrir les chambres, on dirait l’Espagne en voie d’une transformation complète. Réorganiser l’armée par l’abolition de la conscription et l’établissement du service obligatoire, réformer l’administration, poursuivre la séparation de l’église et de l’état, ramener l’île de Cuba à l’ordre légal, en finir avec l’insurrection carliste qui se maintient en Catalogne, reconstituer les finances, c’est là le modeste programme que le cabinet de M. Zorrilla se charge de réaliser. Il en restera ce qui pourra et ce que la fortune des révolutions permettra de faire. Pour le moment, ce qu’on sait de mieux, c’est que, dans les projets qu’il vient de soumettre aux cortès, le ministre des finances propose de payer désormais un tiers des intérêts de la dette en papier, d’augmenter les impôts et de contracter un emprunt pour combler le déficit. Ce n’est pas là peut-être encore ce qui sauvera l’Espagne.

L’avantage des pays accoutumés au calme et fortement constitués, c’est qu’ils peuvent traverser sans péril des crises qui seraient fatales pour d’autres. La Suède vient de perdre son souverain, le roi Charles XV ; elle a été sincèrement émue et attristée, elle n’a pas eu même à craindre le trouble d’un interrègne d’un instant. Le roi Charles XV, petit-fils de Bernadotte, avait à peine quarante-six ans ; il avait succédé à son père, le roi Oscar 1er , en 1859. Durant ces treize années de règne, il avait su gagner l’affection et l’estime du peuple sur lequel il régnait. Il jouissait d’une véritable popularité dans toutes les classes. C’était un prince à l’âme chevaleresque, à l’esprit distingué, cultivant les lettres, ayant même écrit des poésies qui ont été traduites en allemand. Placé depuis quelques années dans une situation difficile en présence des événemens qui ont bouleversé l’Europe, après avoir commencé par le démembrement du Danemark, il s’était conduit avec une habile loyauté, sans dissimuler ses préférences pour l’idée de l’union Scandinave, dont il était le partisan intelligent et dévoué. Dans sa politique intérieure il observait scrupuleusement les règles constitutionnelles. C’est par ces qualités qu’il avait su se rendre populaire. Charles XV ne laisse qu’une fille, et son successeur à la couronne est son frère, qui prend le nom d’Oscar II. Il y a un demi-siècle que cette dynastie de Bernadotte est établie en Suède ; elle s’y est enracinée, elle reste la garantie de cette honnête et sérieuse nation du nord.

CH. DE MAZADE.



Le directeur-gérant, G. Buloz.