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réorganisation, puisque dès le 6 décembre il n’était plus rien ; on lui signifiait de Tours que son commandement était supprimé, qu’il y avait désormais deux armées de la Loire, — la première, composée du 15e du 18e et du 20e corps sous le général Bourbaki arrivé depuis peu, la deuxième armée, confiée au général Chanzy, qui restait sur la rive droite avec le 16e le 17e et le 21e corps. Il n’y avait peut-être pas moyen d’agir autrement, c’était une fatalité qu’on subissait. Il fallait cependant une étrange légèreté pour en prendre si lestement son parti sans consulter les généraux, pour se figurer que ce qu’on n’avait pas pu faire avec une armée entière, facile à concentrer dans de bonnes positions quand on était à Orléans, on allait pouvoir le tenter plus heureusement après la défaite, avec deux tractions d’armées séparées par un fleuve, réduites à une action indépendante et isolée. Il fallait vivre à Tours au milieu de toutes les vaines surexcitations, ne rien voir de ce qui se passait et s’acharner aux illusions de la stratégie la plus aventureuse pour se hâter, sans perdre un instant, de donner à des corps désorganisés toute sorte d’ordres de mouvemens qui poussaient à bout la patience du général Martin des Pallières et provoquaient sa démission. Il fallait enfin ne plus savoir ce qu’on faisait pour demander à Bourbaki de reprendre immédiatement « une vigoureuse offensive, » lorsque le général Bourbaki ne voyait rien de plus pressé et de plus utile que de ramener ses corps délabrés jusqu’à Bourges pour les sauver d’une complète dissolution.

La vérité, la cruelle vérité qu’on aurait dû avoir le courage de s’avouer, c’est que tout était à recommencer avec ces deux armées, dont l’une avait besoin de se reconstituer entièrement, tandis que l’autre un peu moins éprouvée, subitement ralliée par un chef énergique, allait essayer de disputer le terrain et d’arrêter l’ennemi, en illustrant sa retraite par une résistance inattendue. C’était une campagne nouvelle qui s’ouvrait, qui allait se dérouler à l’ouest d’Orléans, à travers la Beauce et le Perche, jusqu’à la Sarthe, — en attendant que Bourbaki de son côté fût en mesure de ramener au combat ses forces réorganisées.


I

La situation était ainsi en effet le 6 décembre au soir. L’armée de la Loire n’existait plus. Pour le moment, Bourbaki, sur la rive gauche, ne pouvait rien. Chanzy, livré à lui-même sur la rive droite, s’était successivement replié vers Beaugency et vers Marchenoir ; c’est là qu’il recevait le commandement de ce groupe de forces qui prenait le nom de « deuxième armée de la Loire. » Il