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chargé d’aborder les positions d’Auvours. Le Xe corps devait s’avancer sur notre aile droite dans la direction de Pontlieue. Au camp français, toutes les dispositions de combat étaient prises. La défense avait été distribuée entre l’amiral Jauréguiberry à droite, le général de Colomb, qui avait avec lui le général Goujard au centre, et le général Jaurès sur la gauche, au-delà de l’Huisne. Le choc décisif était inévitable ; le prince Frédéric-Charles semblait l’avoir fixé pour le 12, il éclatait le 11. Le matin, la neige avait cessé de tomber, le temps était froid et clair. A neuf heures la lutte s’engageait, à midi elle était générale, le feu couvrait l’arc de cercle de nos positions. En définitive, à quatre heures du soir, la bataille n’était pas perdue, et elle avait même été marquée par un héroïque, un émouvant épisode qui se passait à Auvours.

Une division un peu affaiblie du 17e corps occupait le plateau ; battue par l’artillerie allemande, bientôt assaillie brusquement, elle n’opposait qu’une courte résistance, elle s’enfuyait en désordre, descendant vers le pont de l’Huisne dans une inexprimable confusion, et laissant le plateau aux mains des Prussiens. A la vue de cette débâcle, le général Goujard, qui gardait le pont d’Ivré-l’Évêque, n’avait pas de peine à mesurer le danger de la situation. Il comprenait que sa propre division pouvait être entraînée par la panique, et il voyait l’ennemi maître d’une position d’où il dominait et menaçait tous les alentours. Arrêter à tout prix la déroute et reprendre le plateau abandonné était une nécessité suprême. Le général Goujard n’hésitait pas. Il faisait aussitôt braquer deux canons chargés à mitraille sur la foule des fuyards en menaçant de faire feu ; il ralliait un instant ces malheureux, puis, rassemblant les forces qu’il avait autour de lui, un bataillon d’infanterie, les mobilisés de Rennes et de Nantes, il se disposait à marcher. Il y avait là encore des zouaves pontificaux qui avaient été fort éprouvés la veille, et à qui le général Goujard adressait ces simples mot : « allons, messieurs, en avant pour Dieu et la patrie ! le salut de l’armée l’exige. » Et tous ces braves gens s’élançaient au bruit des trompettes qui sonnaient la charge. Les Allemands attendaient de pied ferme. On s’était approché à vingt pas de distance sans qu’un coup de fusil eût été tiré, lorsqu’une formidable décharge abattait les premiers rangs des assaillans ; mais rien ne put briser l’élan de cette vaillante troupe. On se battait corps à corps. Le général Goujard, conduisant l’attaque, eut lui-même son cheval percé de six balles. Un bataillon de chasseurs, qui était à peu de distance, accourait prendre part à la lutte, et en fin de compte on avait reconquis le plateau d’Auvours. C’était là le côté héroïque de la bataille, et en considérant sa situation le général Chanzy avait le droit de la trouver bonne ;