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qui étreignit le moyen âge et dura si longtemps, jusqu’en plein XVIIIe siècle (procès de la Cadière, 1731). Les populations, énervées par les avanies incessantes des gens de guerre, réduites par les privations de toute sorte à un état d’effroyable anémie dont on peut voir la preuve et suivre la trace sur les maigres statues accrochées au flanc de nos cathédrales, ne regrettant rien du passé et n’espérant rien de l’avenir, n’étaient que trop disposées aux maladies mentales, et, ne comprenant rien aux troubles étranges dont elles étaient la proie, elles ne pouvaient expliquer cet état morbide qu’en l’attribuant à l’intervention du diable. Celui-ci avait bon dos, et pendant près de cinq cents ans il porta le poids de la folie et des exorcismes.

Tout y prêtait d’ailleurs, on voyait des démons partout : ubique dœmon. Les adeptes d’une secte religieuse crachaient, toussaient, se mouchaient sans cesse pour rejeter les diables qu’ils avaient avalés. La tradition est restée dans les habitudes populaires; on dit : Dieu vous bénisse! à ceux qui éternuent; c’est un démon qui s’évade. Nul n’échappait à ces croyances : un prieur se faisait garder jour et nuit par 200 hommes d’armes qui frappaient l’air de leurs épées, afin de couper en deux les démons qui oseraient s’approcher de lui; c’étaient de purs esprits cependant : qu’importe? on espérait les effrayer, peut-être les anéantir. Encore quelque temps, et l’on ira plus loin dans l’absurde; on les citera à comparaître en personne devant les tribunaux ecclésiastiques ou à donner pouvoir. Singulière et douloureuse époque! les possédés et les exorcistes étaient aussi fous les uns que les autres, car ils étaient tous de bonne foi.

Les idées philosophiques ou plutôt religieuses qui dominaient alors aidaient encore à ces conceptions délirantes et leur donnaient un point d’appui. L’homme était double : d’un côté la chair, matière terrestre, apte aux péchés qui s’y acharnent, destinée aux vers qui l’attendent à l’heure de son inéluctable dissolution, de l’autre l’âme, émanation directe de la Divinité, pur esprit qui ne doit que traverser cette vallée de misères pour aspirer, pour atteindre aux ineffables splendeurs des régions célestes. Les livres saints n’ont-ils pas dit : « La poudre retourne à la poudre, l’esprit remonte à Dieu, qui l’a créé? » Le corps n’est que l’habitacle de l’âme, temple ou caverne, selon que l’éternelle invisible se garde à Dieu ou se donne au démon. C’est donc sur l’esprit seul qu’il faut agir lorsque l’esprit est malade, puisqu’il est régi par des lois spéciales, qu’il a une destinée particulière et qu’il n’a de commun avec la matière qu’une juxtaposition momentanée. C’était s’éloigner singulièrement du galiénisme et de cette doctrine, si sage pour un