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sous ce rapport aussi insensé que les précédens jusqu’au jour où Colbert, outré de dégoût par tant de niaiseries impitoyables, défend d’évoquer les affaires de sorcellerie. Trois histoires de possession, dont le souvenir est resté dans toutes les mémoires, occupent les premières années du XVIIe siècle, celle de la terre de Labourd en 1609, celle des ursulines d’Aix en 1611, celle des ursulines de Loudun , de 1632 à 1639; les noms de Gauffridi et d’Urbain Grandier ont été popularisés par le théâtre et par le roman; ce furent de véritables épidémies hystériques[1] qui saisirent des femmes vivant en groupe ou près les unes des autres, qui les entraînèrent à de fausses sensations, à des hallucinations de l’ouïe, du toucher et de la vue, qui les agitèrent de transports nerveux excessifs et qu’exaspérèrent jusqu’à la fureur les cérémonies violentes, les objurgations, les pompes religieuses, l’affluence des curieux, l’importance subitement acquise par les malades et la frénésie des exorcistes. Que dans ces tristes procès, qu’il est inutile de raconter, la jalousie du cloître contre l’église, des ordres anciens contre les ordres nouveaux, ait joué quelque rôle, que des prêtres peu scrupuleux aient abusé de l’état morbide de ces malheureuses, comme on le vit clairement un siècle plus tard dans le lamentable procès de la Cadière, on n’en peut guère douter; mais le fait acquis, réel, scientifique n’en subsiste pas moins : on était en présence d’une affection névropathique se communiquant par sympathie. Ces femmes que l’on accusait d’être des possédées ou des fourbes n’étaient ni fourbes ni possédées, elles étaient malades. Elles brisaient tout, elles déployaient une force, une adresse surhumaines, qu’on ne savait attribuer qu’à l’intervention du malin; elles passaient des heures à regarder le soleil sans baisser les yeux ; elles aboyaient comme des chiennes. On ignorait que, dans

  1. Il faut bien s’entendre sur les mots, afin d’éviter toute confusion. Les gens du monde donnent généralement au mot hystérie une acception qu’il ne comporte pas et le confondent avec l’érotomanie et la nymphomanie. Ces vocables désignent trois affections nervoso-mentales parfaitement distinctes. L’hystérie est produite par un manque d’équilibre dans le système nerveux, par un affaiblissement des grands nerfs; c’est un délire partiel, triste, théâtral avec propension excessive au suicide; elle participe de la mélancolie et de la lypémanie d’Esquirol; Roller l’appelle la mélancolie agitée, et Moreau (de Tours) la nomme la folie névropathique. L’érotomanie est l’amour platonique dégénéré en aberration, c’est l’amour de don Quichotte pour Dulcinée. La nymphomanie, pour les femmes, le satyriasis pour les hommes, est le déchaînement des passions sensuelles et bestiales dans ce qu’elles ont de plus violent.