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incapable de gouverner et de combattre, qui étaient les deux termes de l’idéal de royauté dès ce temps-là, — on le voit dans les écrits de tous les contemporains, dans Palma Cayet par exemple. D’agent aveugle du parti catholique, il était devenu l’obstacle décrié de ses desseins. Il avait espéré diviser la ligue et avoir raison de l’un par l’autre; ses plans, indécis et mal conçus, n’avaient abouti qu’à le rendre haïssable. En un temps de surexcitation passionnée, il n’y eut bientôt plus de limites dans le dédain dont Henri III fut accablé, et de l’intérieur la déconsidération passa facilement à l’étranger. Sixte-Quint en était désespéré pour ses projets sur la France. La faiblesse, l’ineptie, la déloyauté de cette cour, dit M. de Hübner, le plongeaient dans un profond découragement. Non-seulement le roi n’avait pu ni su dissoudre la ligue, mais il se l’était profondément aliénée, et les méfiances réciproques n’étaient que trop justifiées. Diplomatiquement parlant, le pape était placé entre la guerre civile, au bout de laquelle il voyait l’acclimatation de la réforme en France, et l’intervention espagnole, au bout de laquelle il voyait une tyrannie pour l’église et un démembrement pour la France. Heureusement pour son pays, Henri III eut assez de lucidité d’esprit pour juger, après le meurtre des Guises, qu’il était irrémissiblement perdu, s’il ne s’entendait avec le roi de Navarre, et l’entente fut bientôt rétablie, l’intérêt de ce dernier s’y accordant à merveille[1]; mais les difficultés n’y manquaient pas, comme nous verrons bientôt. Le roi était journellement désigné au meurtre public dans les églises de Paris et dans toutes les réunions populaires. Mettre à mort un être si méprisable et si malfaisant était proclamé un acte méritoire et offert comme but d’émulation à tous les esprits fanatisés. Jacques Clément ne fut que l’expression de ce sentiment déplorable, et l’immolation du moine assassin fut honorée comme un martyre. Les atroces folies de Paris à ce moment ne trouvèrent point de contradicteur. Qui l’eût osé? Chacun tremblait pour soi; le régicide était professé comme doctrine reçue. C’était l’idée courante du quartier de l’université et des couvons de la capitale : elle était proclamée dans la chaire scolaire comme dans la chaire chrétienne; Elisabeth, en Angleterre, avait failli en être victime en 1584. On sait qu’il s’ensuivit un statut du parlement qui expulsait tous les prêtres catholiques d’Angleterre. Combien ces aberrations furent odieuses à Sixte-Quint, M. de Hübner nous le montre avec un sentiment de consolation.

Henri III s’était soutenu longtemps par les conseils de sa mère Catherine de Médicis, que la correspondance publiée par M. de

  1. Voyez sur ce point M. Ranke, qui, après De Thou, a parfaitement dessiné la situation dans son Histoire de France.