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vint-il bien des fois des scissions[1], des remontrances, des ruptures dans son camp, et au jour de l’abjuration d’éclatantes séparations, notamment celle de La Trimouille, qui s’en retourna au Poitou, à la tête de neuf bataillons, disant qu’il ne voulait plus combattre sous les drapeaux d’un chef qui venait de s’engager à protéger l’idolâtrie. Ces vues étroites, absolues, des calvinistes français étaient conformes au génie de leur chef de secte, si différent de celui de Luther. Aussi la réforme allemande fut-elle dirigée et sauvée par la politique, tandis que la réforme française, dirigée par l’esprit de Genève, courut de faute en faute jusqu’à sa perte. Le tempérament particulier de l’aristocratie française, toujours impolitique et indisciplinée, y contribua aussi beaucoup. L’exemple de la maison d’Orange a perdu les Châtillon, les Rohan, les La Trimouille, les Bouillon, qui ont fini par être les chambellans de la maison royale après avoir eu l’envie de la détrôner, n’ayant pas eu l’habileté de partager le gouvernement avec elle. Plus d’une fois les protestans ont obtenu non-seulement la liberté religieuse, mais la plus ample part du gouvernement de l’état. Ils n’ont pas su la garder, alors que le véritable intérêt de la monarchie tournait la politique de leur côté. Alliée des princes protestans d’Allemagne et d’Elisabeth d’Angleterre contre Charles-Quint et Philippe II, la France était forcément comprise dans le mouvement réformé. Les calvinistes n’ont pas su s’y maintenir. Si les violences et les fautes ont déshonoré la cause catholique à cette époque, la cause calviniste a bien aussi de grands reproches à subir devant l’histoire. Cabrières et Merindol, puis la Saint-Barthélémy, ferment la bouche aux catholiques ; mais la royauté n’a-t-elle pas tendu les mains à la réforme? Les réformés n’ont-ils pas contribué à la chute du ministère de L’Hôpital par leur jactance, après l’édit de 1562? N’ont-ils pas tué François de Guise et sanctifié Poltrot? n’ont-ils pas eu Des Adrets, le rival de Montluc? Après la mort de François II, l’état était dans leurs mains; comment en ont-ils profité? N’ont-ils pas ébranlé l’unité française à la paix de Monsieur? Calvin, qui brûlait Servet à Genève, ne poussait-il pas les réformés français à défendre la cause sacrée, même à coups d’arquebuse ? Et encore étaient-ils divisés entre eux! Le dévoûment des réformés à la cause d’Henri de Navarre était au fond très modéré, le soin de leur intérêt prédominait, et réciproquement il en était de même de Henri vis-à-vis des réformés.

Cependant, il faut l’avouer, c’est dans la ligue, à partir de l’union de Péronne, que s’est produit le plus grand embarras de la France, parce que la ligue est parvenue à dominer la situation, et qu’elle

  1. Voyez dans les Mémoires de Villeroy, p. 506, édit. de Buchon.