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yeux l’exact exposé de la situation, et, contre l’attente générale, le sacré-collège approuva le pontife dans sa prudente lenteur à se prononcer.

Cette mémorable séance est du 19 mars de l’an 1590. Le 14, le duc de Mayenne avait perdu la sanglante bataille d’Ivry. Lestoile raconte qu’au matin de la journée Henri IV avait dit à ses compagnons d’armes : « Soyons vainqueurs, car nous serons incontinent absous; mais si nous sommes battus, nous demeurerons excommuniés, voire même aggravés et réaggravés plus que jamais. » Et en effet les victoires de Henri, qui produisaient un effet si décisif sur l’esprit public en France, aidaient singulièrement à la transaction en cour de Rome, malgré les rapports envenimés de Gaëtani, lequel affirmait à sa cour qu’Henri IV se moquait du pape, et n’abjurerait pas dès l’instant qu’il serait reconnu ou pleinement victorieux.

Un nouvel événement, la mort du cardinal de Bourbon, le roi de la ligue, survint le 8 mai 1590, et sembla devoir hâter la solution romaine. Le pape voulut en effet qu’elle fît un pas de plus. Il proposa, dans une assemblée de la congrégation de France, d’envoyer deux prélats connus pour leurs sentimens pacifiques et concilians auprès des princes et des prélats français, afin d’avoir le témoignage plus authentique des sentimens nationaux et des dispositions du roi de Navarre. Les Espagnols rugirent et firent d’énergiques protestations. On était au 7 août. Tant d’émotions avaient usé la santé du pontife, qui ne comptait cependant que soixante-neuf ans. Quoique victorieux des difficultés jusqu’à ce moment, il sentit ses forces s’épuiser, et une crise redoutable pour sa vie s’annonçait. Il avait résolu que la papauté ne se ferait pas l’instrument des ambitions politiques de la maison d’Espagne, ni de la maison de Guise, et qu’elle ne prêterait ni à Philippe II, ni à la ligue, les foudres du Vatican et les trésors du château Saint-Ange. Il expira le 29 août (1590). On a dit que c’était du poison de l’Espagne. Rien n’est plus faux; mais le même jour les deux ministres espagnols à Rome expédiaient à Madrid les deux dépêches suivantes. Olivarès : « L’accès a été si fort que sa sainteté a trépassé. Il est mort sans confession, et pis, pis, pis encore (peor, peor, peor) ; que Dieu lui soit miséricordieux, mais je le vois au plus profond de l’enfer. » Le duc de Sessa : « Ce soir à sept heures, le pape est mort sans confession. On assure que depuis bien des années il ne s’était pas confessé. Il ne pouvait mourir à plus mauvais moment pour sa réputation. Il laissera le renom du plus mauvais pape qu’on ait eu depuis bien des années[1]. »

  1. Voyez les détails dans le deuxième volume de M. de Hübner, p. 363-371.