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qu’ils ne connaissaient que par des souvenirs légendaires. Hérodote seul signale deux. petites tribus sans importance que l’on croyait pélasgiques, l’une en Bithynie, l’autre sur le golfe Thermaïque. Le nom des Pélasges n’est qu’un mot vague autour duquel on ne peut grouper aucune idée certaine.

La barbarie dans laquelle ont vécu les Albanais, surtout ceux de la Guégarie, est incomparable. Ce peuple n’a pas une seule chronique, on ne saurait dire qu’il ait une poésie populaire quelque peu développée. Il est vrai qu’en Sicile et dans les provinces napolitaines, depuis le XVIe siècle, on répète des chants albanais ; mais ils sont rares, et il faut les attribuer à des lettrés bien plus qu’aux paysans. Ce sont des imitations faites sur les modèles que fournissent les improvisateurs italiens, mais où on retrouve quelques-unes des idées propres à la race. Les petites pièces de douze et quinze vers qu’a réunies M. Reinhold donnent une idée plus juste de l’imagination de ce peuple ; on y voit un esprit enfantin aussi peu maître des idées que de la forme. Il semble cependant que les guerres du XVIe siècle, et plus tard les révoltes des pachas indigènes contre la Porte, aient inspiré quelques compositions plus compliquées ; mais ces chants ne sauraient en rien se comparer ni aux hymnes guerriers des Slaves ni tragoudia de la Grèce. Ce peuple si ancien n’écrit pas encore sa langue. Le journal de Scutari annonçait en janvier 1872 qu’une commission, réunie par le pacha, venait d’arrêter un alphabet dont l’usage allait devenir obligatoire. Nous ne sommes pas près de ce progrès, qui ne saurait se faire par ordonnance, et que la Turquie du reste n’a aucun intérêt à souhaiter. Les Albanais, quand ils sont forcés d’écrire leur langue, ce qu’ils font rarement, se servent, selon la province qu’ils habitent, de lettres turques, grecques, latines ou slaves. Aucune de ces tentatives ne rend les sons qu’ils veulent reproduire. On compte sept alphabets différens où les lettres latines sont combinées avec des points et des traits. Les lettres grecques n’ont pas donné lieu à moins de systèmes. M. Auguste Dozon, qui publie en ce moment une grammaire et des chants schkipétars, se voit obligé de créer de nouveaux signes de convention. L’histoire de la littérature albanaise se réduit jusqu’ici à ces essais d’alphabets, tentés le plus souvent par des étrangers comme Louis Bonaparte, l’évêque Grégoire d’Eubée, G. de Hahn, M. Reinhold, ou par des Albanais d’Italie comme Cavalliotti et l’auteur anonyme de l’Alfabeto générale Albanese-Epirotico, publié à Livourne en 1869.

Les Albanais des montagnes n’ont jamais été soumis à personne. Les Grecs anciens n’occupèrent que la côte, où ils eurent des villes importantes comme Apollonie et Dyrrachium, les Romains laissèrent