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qui habitent sur la côte d’Albanie où sont les centres importans de population se montrent sévères pour les mœurs des Schkipétars : à les en croire, le gynécée ne protège pas les femmes ; à Scutari, derrière le consulat de France, il y a un petit ruisseau qui en un mois, en 1871, a charrié dix ou douze cadavres d’enfans. Ces assertions et beaucoup d’autres peuvent être vraies. Une culture aussi imparfaite ne donne aucune force contre les passions, une fois que la vertu n’a plus la barbarie pour la protéger.

Un peuple qui cultive peu la terre, que rien n’attache, doit s’exiler facilement ; il trouvera partout le peu qu’il laisse dans son pays. L’Albanais en effet émigré sans peine ; bien que la race ne soit pas nombreuse, on voit qu’elle se divise en trois groupes principaux partagés entre des pays très différens. Il y a des clans schkipétars dans toute la Turquie d’Europe et jusqu’en Autriche. L’empire ottoman est le seul pays où des tribus entières puissent aujourd’hui changer de territoire et trouver des campagnes libres où elles s’établissent ; encore ces migrations rencontrent-elles des obstacles et le gouvernement veut-il les régler. Cette nouvelle situation est la seule cause qui ait mis fin aux migrations albanaises. L’état barbare plus encore que le grand nombre des habitans est la raison de la plupart des invasions primitives. La tchètas ou razzia est une autre conséquence du caractère de ce peuple. Descendre chez la tribu voisine, surtout si elle est d’une autre religion, piller ses troupeaux est un plaisir qui assure de bons profits pour le temps du repos. La tchètas se retrouve chez toutes les tribus qui naissent à peine à la civilisation. Les prétextes d’attaque ne sont même pas nécessaires : l’étranger, qui est l’ennemi naturel, ou plutôt l’indifférent envers lequel les obligations sont nulles, doit faire bonne garde ; le coupable est celui qui se laisse surprendre.

Les querelles dans ce pays naissent sous le plus futile prétexte, surtout entre hommes de différentes tribus. Des insultes on en vient aux armes ; aussitôt que le sang a été versé, le clan tout entier est solidaire de la famille de la victime. Les vendettas sont perpétuelles dans les montagnes. Comme à Cattaro et chez les Slaves de Bosnie, ce sont de véritables guerres où les incendies et les meurtres se succèdent. Un prêtre catholique du district de Podgoritza a raconté récemment une de ces vengeances, qui peut faire comprendre ce que sont ces mœurs pastorales. On trouve au nord de Scutari un petit district appelé Fundina, qui compte cinq villages, Zouvara, Rosna, Prémitchi, Lédina et Zéopara, habités les uns par des Slaves de religion grecque, les autres par des Albanais musulmans ou catholiques. Au printemps, les vieillards du canton se réunirent et assignèrent à chaque famille les pâturages où elle conduirait ses