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l’histoire ne trouve rien qu’elle puisse comparer, et qui cependant doit peut-être ses premiers développemens à une influence étrangère.

L’intérêt d’un voyage en Albanie est surtout de nous montrer l’importance des études d’histoire comparée. Les écrivains qui racontaient les événemens du passé ont eu longtemps peu de souci de les expliquer, ou en ont donné des raisons si naïves qu’elles nous font sourire : heureux lorsqu’ils s’élevaient comme Hérodote à la conception d’un ordre divin qui, si imparfait qu’il fût, réglait les actions des hommes. Cette absence de méthode est le propre, même. de nos jours, d’un grand nombre d’ouvrages qui ont demandé beaucoup d’efforts. Cependant la pensée antique avait conçu une juste idée de ce que devait être l’histoire, mais il semble que le maître de cette science n’ait pu créer de tradition, qu’Aristote seul ait compris les principes d’investigations fécondes qu’il exposait dans sa Politique. Ces études passionnent à nouveau ceux qui ont quelque souci de la haute culture intellectuelle. Ils cherchent à expliquer les événemens, tantôt par l’analyse des influences qu’ont exercées les grandes races primitives, mères de toutes les autres, tantôt en mettant en lumière un fait principal auquel ils rattachent les faits moins importans, tantôt enfin, mais plus rarement, en montrant que les lois civiles, les révolutions, les créations qui signalent un siècle dans l’ordre religieux et politique, dans la morale, dans la poésie et dans les arts, doivent leur naissance à l’état même et au caractère de ce peuple à une heure particulière de son développement. Là est la vraie méthode, celle d’Aristote, bien que le maître n’ait eu le temps d’analyser ni les causes si complexes qui modifient ces créations, ni les. variétés que présente un peuple, selon la race d’où il procède, selon les lieux qu’il habite. Les études comparées permettront seules de constituer cette science qui sera la véritable philosophie de l’histoire. Rapprocher les usages semblables et les états semblables d’esprit, telle est la base de ces nouvelles recherches.

Les Anglais surtout sont entrés dans cette voie. Leur sens pratique considère toutes les productions qui sortent de la nature même d’une nation comme un ensemble de phénomènes soumis à des lois qu’il faut découvrir ; ils croient que les caractères ont un développement simple et normal, qu’on peut les analyser et les classer comme le botaniste analyse et classe les plantes, que la vie dans l’ordre historique est une sorte de végétation que la science peut suivre, dont elle fixe les périodes. Cette méthode toute positive tient compte de toutes les modifications que les circonstances