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remarquables par leur austérité sauvage ou leur solitude poétique ; Citeaux fait une exception éclatante à cette règle. Je n’ai pas vu Clairvaux, mais je doute que cette vallée de l’absinthe, que saint Bernard et ses moines transformèrent par leur pieux travail en vallée lumineuse, ait jamais été, même dans son état primitif, plus morne et plus ennuyeuse au regard. Certes les moines de Cîteaux auraient pu se vanter de tirer d’eux-mêmes toute leur piété et tout leur amour de Dieu, car une pareille nature n’était capable de leur fournir aucun auxiliaire d’élévation religieuse ni aucun stipulant de tendresse mystique. A cette déception pittoresque a succédé la déception historique. Hélas ! il ne reste quoi que ce soit des souvenirs de l’antique abbaye, et je ne sais vraiment où certains itinéraires ordinairement exacts et bien informés ont pu découvrir les tombeaux des ducs de la première race capétienne qu’ils recommandent à l’attention des voyageurs. Non-seulement il ne reste rien de ces sépultures, mais on ne sait même pas où elles étaient placées, car pendant une partie de cette période l’usage d’enterrer les grands personnages dans l’intérieur des édifices sacrés n’était pas encore admis, et tout ce que le clergé accorda longtemps aux puissans fut une sépulture sous un des porches de l’église. C’est ainsi que fut, dit-on, inhumé à Semur le duc Robert Ier, c’est ainsi que fut inhumé le duc Eudes Ier, dont, au rapport de Courtépée, on voyait encore la tombe sous le porche de Cîteaux avant la révolution. Quant aux monumens princiers qui appartenaient à la dernière partie de cette première période ducale, ils ont disparu avec l’église même qui les enfermait. Il ne reste rien en effet de l’ancienne église du monastère, et celle qui existe aujourd’hui n’a pas une date plus ancienne que 1846. Enfin les bâtimens de l’abbaye qui sont encore intacts ont en grande partie perdu leur caractère, et ont été transformés en établissement pénitentiaire pour les jeunes détenus. Le touriste avide de témoignages historiques qui serait disposé à exécuter le voyage de Cîteaux est donc informé qu’il peut s’épargner cette excursion : il n’y trouverait : aucun vestige digne du plus petit intérêt.

Et cependant on peut dire que ce saint lieu, même dans sa déchéance, n’a pas perdu entièrement son ancienne destination. C’est encore la charité qui en est l’âme, c’est encore la cause du bien moral qu’on y défend. Ces terres de Cîteaux, qui furent défrichées et assainies par les légions de moines de saint Bernard, sont aujourd’hui cultivées et ensemencées par des bataillons de pauvres enfans touchés prématurément par le génie du mal, sous la surveillance dévouée de frères de la doctrine chrétienne qui essaient de transformer en pionniers du bien ces petites victimes du diable. Environ 400 enfans reçoivent là l’instruction religieuse et morale