Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours fait l’objet de mon admiration. Le prêtre catholique est tenu d’espérer toujours, même contre la nature, contre la raison et contre l’évidence. Dans la vie laïque, nous aimons le peuple, mais nul de nous n’aime la populace ; cette populace est cependant aimée quelque part avec un zèle de charité qui ne craint même pas parfois de braver le bon sens vulgaire, quelque part où on lui épargne même son nom odieux et où elle est considérée non comme criminelle, mais comme égarée. Quelques jours après ma visite à Cîteaux, je faisais part de mon entretien avec le directeur de cette colonie pénitentiaire à un magistrat de province qui pendant trente ans a présidé les assises, et je lui demandais son avis sur l’efficacité de ces sortes d’institutions. « Il est possible, me répondit-il, que l’expérience de ce directeur lui ait présenté des cas heureux ; tout ce que je puis dire, c’est que la mienne ne m’en présente aucun, et que j’ai vu bien des fois revenir devant nous hommes faits ceux que nous avions envoyés enfans à ces établissemens. » Ainsi, tandis que le magistrat qui envoie ces enfans coupables dans la colonie pénitentiaire n’en espère rien, le prêtre qui dirige la colonie en espère tout. En vérité, il serait temps qu’il se rencontrât quelque honnête démagogue qui, comprenant une partie de ce que nous venons de dire, modérât un peu le zèle de ses confrères et leur fît remarquer qu’en excitant la populace à se ruer sur le clergé catholique on la pousse à tirer non-seulement sur ses plus vrais, mais sur ses seuls amis, car là seulement elle peut trouver indulgence et charité, tandis que partout ailleurs, même chez les plus vertueux et les meilleurs, elle ne peut rencontrer que justice.


II. — BEAUNE. — ALEXIS PIRON. — L’HÔPITAL DU CHANCELIER ROLIN.

Le trajet est court de Nuits à Beaune, et j’en ai employé le temps à regarder avec curiosité si je n’apercevrais pas sur les talus du chemin les héritiers de ces chardons qu’Alexis Piron trancha jadis avec rage, prétendant par là couper les vivres aux Beaunois. Beaucoup de nos lecteurs savent sans doute qu’un très comique petit pamphlet de Piron a fait aux Beaunois une réputation de bêtise presque égale à celle que Molière a faite aux Limousins par sa fameuse farce de M. de Pourceaugnac. Les jeux populaires étaient très en faveur en Bourgogne sous l’ancien régime : ainsi Semur était célèbre par sa course annuelle des bagues, et Dijon et Beaune par leurs fêtes d’arbalétriers, dont l’origine, si je ne m’abuse, remonte à Philippe le Bon, ce prince si cordial et si populaire, qui transporta tant d’usages issus de la bonne humeur des grasses Flandres dans la grasse Bourgogne, où ils ne pouvaient dépérir. Or il arriva qu’en 1715 les arbalétriers de Beaune remportèrent le prix du tir sur les