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une grande page d’histoire et non pas un chapitre d’autobiographie minutieuse ; rien n’est mieux fait pour démontrer la vérité de cette assertion que cette œuvre de Rude.

Beaune est une gentille et paisible petite ville avec une physionomie ancienne et une toilette moderne. De verts boulevards de date récente font une charmante ceinture à ses flancs, et le passé lui a laissé en héritage assez de bijoux d’un travail rare et précieux pour lui composer une parure remarquable et forcer les yeux à s’arrêter sur elle avec complaisance. Tout est petit dans cette miniature de cité ; l’enceinte est petite, les demeures (dont quelques-unes de la renaissance presque intactes) sont pour la plupart petites ; deux rivières la traversent, mais ces deux rivières sont de simples cours d’eau, et on franchit ces fleuves de Lilliput sur des ponts microscopiques. Tout est petit, sauf deux édifices admirables, Notre-Dame, la principale église, et l’hôpital, la merveille de Beaune et l’une des raretés de la France.

Cet hôpital fut élevé par la libéralité de Nicolas Rolin, chancelier de Bourgogne sous Philippe le Bon, âpre et ferme politique auquel une tradition probablement exagérée a fait une réputation de rapacité et d’avarice. M. Rossignol, dans sa curieuse Histoire de Beaune, a fait réparation à la mémoire du chancelier, et n’a pas eu de peine à le disculper du péché d’avarice. Comment taxer d’avarice un homme qui élève à ses frais un édifice aussi somptueux que l’hôpital de Beaune ? Et ce n’est pas à cette ville que Nicolas Rolin avait borné sa libéralité, car la collégiale d’Autun fut encore son œuvre. Le chancelier trouva à Beaune une masure d’hôpital doté d’un revenu de 50 francs, et il lui substitua un palais qu’il dota d’un revenu de 1,000 francs. L’exiguïté de cette dotation a été alléguée comme preuve de lésinerie, mais M. Rossignol montre très judicieusement, par le détail des objets qu’on pouvait avoir pour cette somme, quelle rente énorme c’était que 1,000 francs dans la première moitié du XVe siècle. Il est moins aisé d’absoudre le chancelier du reproche de rapacité, car, si rapacité et avarice vont bien ensemble, rapacité et libéralité ne s’excluent nullement. On a vu des concussionnaires se montrer les plus magnifiques des hommes ; Fouquet, le prédécesseur de Colbert, en est un exemple mémorable entre tous. Or Nicolas Rolin passe pour avoir eu les mains crochues au suprême degré, à tel point que Philippe le Bon, qui l’aimait comme un utile serviteur, ne put un jour se retenir de lui dire : « Cette fois c’est trop, Rolin. » On attribue encore à l’acre Louis M., qui gardait rancune au chancelier des services rendus à la maison de Bourgogne, un mot cruel. Comme on parlait devant lui de la magnificence de cet hôpital de Beaune : « Eh, dit le roi, c’est bien le moins que celui qui a fait tant de pauvres ait bâti un palais pour