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de la pauvre âme humaine sur la terre dans les conditions que le christianisme lui a faites ! Humiliée, pécheresse, elle essaie de se soulever et retombe brisée sur elle-même après un lourd effort ; la sécurité de son ancienne ignorance n’est plus, la sérénité de l’avenir qui lui est promis n’est pas encore ou reste incertaine, et elle bat tristement de l’aile entre la terre, qui la rend malheureuse, et le ciel, pour lequel elle est inhabile. Tel cet arc brisé qui n’a plus l’harmonieuse sérénité de l’arc roman, et qui ne soupçonne pas le vol élancé de l’ogive, sorte de larve architecturale en qui les vies de deux architectures, l’une terrestre et l’autre ailée, se mêlent et s’amalgament, l’une pour naître et l’autre pour cesser d’être. En un mot, je ne connais pas d’architecture qui soit une meilleure image de l’attitude contrainte de l’âme chrétienne ici-bas, et de sa patiente et douloureuse espérance dans les promesses qui lui ont été faites. Sans doute ce n’est pas là tout le sentiment religieux, mais c’en est une partie, et, si le style roman et le style gothique purs expriment des états d’âme plus étendus, plus harmonieux et plus vibrans, ils n’en expriment pas de plus touchans.

Notre-Dame de Beaune a été complètement restaurée à l’intérieur dans ces dernières années ; mais ces réparations n’ont pu malheureusement lui rendre les ornemens qu’elle a perdus au jeu terrible des guerres civiles et des révolutions. Aussi a-t-elle peu de choses à montrer aujourd’hui en dehors des principales dispositions de son architecture. Quelques œuvres méritent cependant que nous prolongions notre visite. Sur l’un des côtés du chœur, tout au haut d’une colonne, se dresse une jolie statue de saint Michel, souvenir visible de ce gracieux page du ciel que le Guide nous a représenté posant avec une si triomphante élégance son pied sur le front du vieux jettatore de l’abîme, tout pareil au Roger d’Arioste qui se débarrasserait par la force de son vieil enchanteur Atlante. Une des chapelles contient une Adoration du sacré cœur de Lebrun, tableau d’une couleur à la fois claire et livide et d’une composition savamment ordonnée qui n’a que le tort de tromper le premier regard sur la nature du sujet et de faire croire à une Pentecôte. Nous n’aurions probablement pas fait mention de ce tableau, si nous l’avions vu en tout autre lieu que Beaune, sa valeur comme art étant assez indifférente ; mais ici il acquiert une importance en quelque sorte historique, car il rappelle au voyageur curieux de suivre la vie de la Bourgogne dans ses différentes manifestations que la moderne adoration du sacré cœur est une dévotion d’origine bourguignonne. Marie Alacoque, qui était des environs d’Autun, eut ses visions à Paray-le-Monial, dans le Charolais, et son plus vaillant champion fut un de ses compatriotes. C’est ce Languet de Gergy, évêque de Soissons et prédécesseur de Buffon à l’Académie française, qui joua un si grand rôle dans toutes