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une prophétie des destinées de ses doctrines, et qu’elle contient l’affirmation d’un catholicisme plus flottant, plus obscur, et encore plus étendu que celui qui est affirmé par la célèbre promesse : « tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église. » Cette dernière promesse ne s’applique qu’à l’édifice visible de l’église, tandis que la formule de Jean va beaucoup plus loin, car elle implique que, même l’église s’écroulât-elle, la doctrine qu’elle incarne resterait invincible, ou, pour préciser notre pensée avec plus d’énergie, trouverait sa victoire définitive dans la défaite que l’enfer semblerait lui infliger. Tout le développement de l’Apocalypse ne nous montre-t-il pas en effet les triomphes répétés de ces portes de l’enfer qui ne doivent pas prévaloir ? Je suis l’alpha et l’oméga, qu’est-ce que cela veut dire, sinon j’enserre entre mes deux extrémités toutes les lettres par lesquelles s’exprime la parole, je suis l’alphabet entier, autrement dit je contiens toute parole, toute sagesse, toute doctrine ; c’est de moi qu’elles sortent toutes, quelles que soient leurs combinaisons, c’est à moi que forcément elles retournent, quelles que soient leurs déviations ? Le temps déroulera mille vicissitudes et déchaînera des fléaux sans nombre, ces vicissitudes et ces fléaux rencontreront toujours pour limites la frontière de ma parole. Ces quatre cavaliers si redoutables ravageront la terre bien des fois ; eh bien ! quelle sera la fin de leurs exploits ? Le cavalier armé du sceptre foulera la terre en conquérant ; au bout de sa victoire, il me rencontrera devant lui pour lui dire : Je vois ta force, où est ton droit ? Le cavalier armé du glaive livrera les hommes à la guerre civile ; quand des torrens de sang auront coulé, je me dresserai devant sa face, et je lui dirai : Je vois ta vengeance, où est ta fraternité ? Le cavalier armé de la balance viendra châtier les hommes de sa justice ; mais quand leurs iniquités auront été punies, il m’entendra lui dire : Je vois ta colère, où est ta clémence ? Le cavalier armé de la faux tranchera la race des hommes, et alors je lui dirai : Tu livres à l’éternité, qui est mon royaume, ce qui appartenait au temps, tu clos l’ère du long combat, et tu inaugures mon règne, et dès lors où est ta victoire ? La pauvre âme humaine joindra les maux de ses erreurs aux maux de ces désastres ; tantôt enivrée d’elle-même, elle oubliera ma parole, tantôt désespérée de ses malheurs, elle perdra confiance en ma promesse, et cherchera d’autres remèdes et d’autres appuis que ma doctrine. Elle se tourmentera et s’ingéniera pour trouver d’autres voies, et, quand elle aura fait bien du chemin et qu’elle se croira bien loin de moi, elle me rencontrera au bout d’elle-même. Il n’y a de véritable propriétaire du monde et de l’âme que moi, tous les autres n’en sont que les usufruitiers et les fermiers à bail, et que m’importe que l’enfer prévale, puisqu’il est lui-même sous ma domination ?