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par quelques épreuves, ce n’est pas à ses adversaires qu’il le doit, c’est à ses propres fautes ou à celles de ses amis. D’abord la forme républicaine est la seule qui puisse durer dans une société démocratique, et, comme « tous les chemins mènent à Rome, » tous les progrès d’une société pareille mènent nécessairement à la république. Ensuite l’empire, en déconsidérant la monarchie, a beaucoup contribué à propager les idées républicaines. Enfin le suffrage universel, que l’empire a enraciné dans nos mœurs tout en l’intimidant et en le corrompant pour son compte, a un penchant naturel pour les idées simples et claires. Les beautés scientifiques des gouvernemens pondérés et compliqués, qui font vivre en bonne harmonie des pouvoirs et des principes opposés, ne touchent pas l’esprit du peuple. Il préfère le césarisme ou la république : entre les deux, il ne connaît pas de milieu. Du moment où le suffrage universel renonce à se donner un maître absolu et héréditaire, la seule idée qui le frappe est celle d’un gouvernement électif. Ajoutons à cela que la république est à l’heure présente le seul gouvernement matériellement possible, le seul qui puisse se flatter d’accorder les partis, et que d’ailleurs elle s’impose, au moins comme provisoire, à ceux même qui la détestent le plus. Le parti républicain trouve donc aujourd’hui en France sa cause à moitié gagnée. La fortune lui vient en dormant : il n’a qu’à se laisser porter par le vent qui gonfle ses voiles ; son succès est certain, s’il ne le compromet pas lui-même. Cependant il peut gâter tout cela, et il le gâtera certainement, s’il reste livré à ses seules inspirations, s’il ne trouve pas dans l’alliance des opinions conservatrices un frein en même temps qu’un appui.

Pas plus que les autres partis, l’ancien parti républicain ne peut nous sauver à lui tout seul ; pas plus que les autres, il ne peut trouver en lui-même assez de puissance pour fonder un gouvernement durable, assez de sagesse pour inspirer confiance au pays, assez d’autorité pour obtenir de ses anciens adversaires l’union, l’unanimité nécessaire à la fondation de nos institutions définitives. Ce qui fait aujourd’hui sa principale force, non pas sa force numérique, mais sa force morale, c’est l’adhésion résolue et réfléchie des hommes qu’il appelle les républicains du lendemain, et qui s’intitulent eux-mêmes les républicains de raison. C’est grâce à ces recrues nouvelles et à leur sage influence que l’ancien parti républicain se modifie, se tempère, apprend à rassurer les conservateurs, à réprimer les violences inutiles, et qu’il renonce à la politique déclamatoire et sentimentale pour devenir un vrai parti de gouvernement. Si au contraire il abusait de son succès pour violenter la fortune, et qu’il redevînt exclusif, intolérant, turbulent comme par le passé,