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proie : d’ici là, il y a donc à imaginer un moyen de vivre et à choisir le meilleur. Ce moyen n’est pas l’exil, qui anéantit toute action, c’est la résidence et l’exercice des droits qui y sont inhérens. La conduite à suivre serait alors de reconstituer l’Alsace-Lorraine avec des élémens qui lui soient propres, autonomes comme ils disent, et de tenir surtout à l’écart les colons allemands qui en convoitent les dépouilles, puis, cette reconstitution achevée, de demander résolûment aux chambres de l’empire qu’à une dictature de circonstance, qui a encore quinze mois à courir, succédât un régime régulier d’une application immédiate. — Point d’illusions, disent ces dissidens, elles seraient funestes, et rendraient notre absorption irrévocable ; les exilés n’emportent pas le sol à leurs pieds, les vides, si grands qu’ils soient, ne déplacent pas une population, le gros restera sédentaire, d’où il faut conclure que l’Alsace, quoi qu’on en ait, ne peut exister que chez elle, et qu’il est bon de rester avec ceux qui ne peuvent pas partir. Toute réflexion faite, ajoutent-ils, gardons-nous et serrons nos rangs, demeurons Alsaciens-Lorrains quand même ; rien ne serait pire que l’excès de visages nouveaux. Comme Alsaciens-Lorrains démembrés, l’Allemagne ne peut nous refuser les institutions dont jouissent les autres parties de l’empire ; c’est notre force, et, s’il plaît à Dieu, ce sera un jour notre indépendance. Que le mot d’ordre soit : rester en nombre, faire corps, et, si peu de liberté qu’on nous laisse, agir, exister par nous-mêmes, nous gouverner nous-mêmes. — Tel est le langage de cette minorité. Autant qu’il m’a semblé, elle n’est point obéie. C’est que la population, sous ces motifs plausibles, craint des malentendus, une pensée de ralliement par exemple, qui n’est pas du goût même de ceux qui restent. La masse ne veut pas de compromis, pas d’acte non plus qui de près ou de loin y ressemble ; elle entend garder intacte sa force d’inertie, la seule dont elle puisse et veuille se servir. Elle a subi une violence morale, elle se réserve de voir avec une patiente et persévérante fermeté si cette violence sera définitivement justifiée par le succès politique.

I.

Un autre problème s’est agité en Alsace-Lorraine dans le cours de ce changement de régime, c’est, en perspective du moins, une révolution économique. Aucune épreuve n’aura manqué à ces provinces, troublées par la paix autant que par la guerre. Peu d’années auparavant, elles étaient en plein essor et en pleine prospérité ; françaises alors, rien ne laissait prévoir qu’elles pussent cesser de l’être : leurs industries nous faisaient honneur ; elles comptaient