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nommée et sa fortune datent de ce siècle. Lorsqu’en 1793 cette petite république se donna volontairement à nous, elle ne comptait que 5 000 âmes, dispersées dans des ateliers de médiocre importance ; en 1872, avant les derniers vides, Mulhouse et sa banlieue contenaient 60 000 âmes au service des plus magnifiques ateliers qu’ait pu créer le génie mécanique. Voilà l’une des surprises de la grande industrie et le bénéfice d’une vie commune qui a duré quatre-vingts ans. Dira-t-on encore cette fois que les Allemands ne font que reprendre leur bien ?

Ceux qui pourraient revendiquer ce bien, ce sont les descendans des hommes qui, il y a cent ans, constitués en une sorte de patriciat, ont imprimé à Mulhouse l’élan sur lequel il vit, les habitudes d’une existence active servie par le goût des arts. Ils étaient à l’origine cinq ou six dont les noms sont dans toutes les bouches, et qui, se multipliant par des alliances de famille, ont transmis à leurs héritiers, avec l’influence et la richesse, le respect de la tradition. Pour les nouveaux comme pour les anciens, l’industrie est le principal, le vrai patrimoine, et le but que de père en fils ils se proposent, c’est de la féconder et de l’ennoblir. De là deux règles invariables de conduite : le perfectionnement incessant de la fabrication, un patronage attentif exercé envers les ouvriers. Ces deux conditions n’ont été remplies qu’à titre onéreux : c’est par millions qu’il faut compter ce qu’elles ont coûté à Mulhouse ; elle les a donnés de bonne grâce, et ne s’est jamais refusée ni à une œuvre d’assistance, ni à un progrès. Nulle part on n’avait à ce point l’œil tourné vers les inventions étrangères, ni la main plus largement ouverte pour s’en emparer quand l’utilité en était démontrée. Il faudrait des pages pour citer ce que Mulhouse s’est approprié en ce genre et a livré ensuite au domaine commun par une notoriété et une générosité sans limites. C’est à ce service que répondait une Société industrielle dont les travaux intérieurs et les publications ont été depuis près d’un siècle des moniteurs et des guides pour nos grands centres manufacturiers. Physique, chimie, mécanique, statique, tout y était signalé, éclairé par des descriptions précises avec figures à l’appui et contrôlé ensuite par des expériences de fabrique. Dieu sait que de lumières ont été ainsi répandues et quels coups d’aiguillon ont été donnés aux branches de notre production que les privilèges du marché frappaient de langueur !

C’est surtout dans les œuvres d’assistance morale que cette association s’est montrée incomparable. Tout était à faire ou à réformer, instruction, mœurs, habitudes, manière de vivre ; les témoignages contemporains sont d’accord là-dessus ; il fallait prendre ces hommes au plus bas de l’échelle et les relever. C’est ce qu’a fait un