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pendant, chacun de ses manifestes est une bataille perdue pour sa cause, et la dernière lettre qu’il vient d’adresser à un de ses amis, membre de l’assemblée de Versailles, n’est point certes de nature à lui ramener la victoire. Voilà un prince qui ne dirait pas, à l’exemple de son aïeul Henri IV, que la France et Paris valent bien une messe, ou, si l’on veut, un mot d’amitié à la société moderne ; il ne transige pas quant à lui, il s’enferme dans le droit, dans le sentiment religieux de la mission providentielle qu’il s’attribue. Il reste immuable, impassible sur son haut promontoire de la légitimité, attendant que la mer vienne le reprendre ; mais la mer ne monte plus jusque-là. La France, telle que ce prince honnête et aveuglé croit la voir, telle que ses amis la lui représentent sans doute, cette France n’existe pas ; cette royauté sacerdotale dont il garde l’idéal n’a plus de place dans notre monde, et M. le comte de Chambord semble le comprendre, puisque visiblement il ne croit plus aux moyens humains pour une restauration, qu’il désire peut-être moins que ses partisans. « Le jour du triomphe est encore un des secrets de Dieu, » dit-il, et il est certain qu’il n’y a rien à objecter à cela. M. le comte de Chambord a écrit sa lettre pour protester une dernière fois contre les tentatives d’organisation constitutionnelle qui se préparent ; mais il ne dit ni ce qu’on pourrait faire, ni comment on pourrait le faire. Le manifeste d’Ebenzweyer est une protestation, ce n’est pas une solution au milieu des difficultés qui nous pressent.

Cette solution nécessaire, où est-elle cependant ? Est-ce qu’on peut la chercher dans une crise intérieure imprudemment provoquée, dans un appel au pays lui-même par une dissolution de la chambre, par l’élection d’une assemblée nouvelle qui arriverait avec la mission particulière de constituer, d’organiser un gouvernement ? Où donc est la nécessité de se jeter dans de telles aventures au moment où nous aurions besoin de mettre la plus extrême mesure dans nos actions et même dans nos paroles ? Assurément l’assemblée qui existe aujourd’hui n’est point éternelle, elle ne vivra pas au-delà du terme qui lui est naturellement assigné. Sa raison d’être est dans les circonstances d’où elle est sortie et avec lesquelles elle disparaîtra. Jusque-là, elle doit rester à son poste, elle doit vivre, son existence est liée à cette œuvre de la libération du territoire qui se poursuit laborieusement. Voulût-elle se dissoudre, elle ne le pourrait pas sans déshonneur pour elle, sans danger pour le pays. Qu’on y réfléchisse un instant : imagine-t-on une crise électorale s’ouvrant aujourd’hui ou demain, le gouvernement battu en brèche dans la lutte, toutes les passions se donnant rendez-vous, tous les partis relevant leurs drapeaux, l’agitation survivant sans doute au scrutin, et tout cela pendant que les Allemands sont dans nos villes et dans nos campagnes, attendant la fin de cette meurtrière aventure ! M. Louis Blanc, qui tient à reprendre son rang dans le radicalisme agitateur, juge cette considération