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Il fallait voir avec quel enthousiasme la presse magyare saluait ce grand événement. C’était à M. le comte Andrassy qu’en revenait tout l’honneur. C’était lui qui avait préparé les voies, qui avait suggéré à M. de Bismarck l’idée de cette alliance, qui l’avait rendue possible et saurait la rendre bienfaisante. N’était-ce pas déjà un bienfait que d’avoir découragé les Slaves ? et comment pouvait-on les décourager d’une manière plus efficace qu’en s’assurant contre eux l’appui du nouvel empire d’Allemagne ? Ainsi parlaient les journaux de la Transleithanie, c’est-à-dire de cette Autriche hongroise où les Croates et les Esclavons sont opprimés par les Hongrois. Dans la Cisleithanie, c’est-à-dire dans l’Autriche allemande, où les Tchèques et les Polonais sont opprimés par les Allemands, la même haine des Slaves excitait les mêmes clameurs. Vainement quelques esprits élevés, et parmi eux le rédacteur de la Réforme, s’efforçaient-ils d’avertir ces politiques aveugles. Vainement leur criaient-ils : « Prenez garde ! vous croyez servir l’Autriche, vous préparez sa ruine. Vous, Hongrois, à force d’être injustes pour les Slaves, à force de leur fermer toute issue, de leur enlever toute espérance, vous en faites bon gré mal gré des Russes, 16 millions de Russes au cœur de l’Autriche. Et vous, Allemands de la Cisleithanie, me sentez-vous pas que votre haine des Slaves vous est un piège ? ne sentez-vous pas qu’en courant ainsi, les bras ouverts, au-devant de ces Prussiens qui vous ont écrasés il y a six ans, vous détruisez vous-mêmes votre dignité, cette force que rien ne remplace ? » Tout cela était inutile ; ni les remontrances de l’honneur, ni les conseils de l’intérêt ne pouvaient les amener à vaincre leur passion. Une seule idée les animait : étouffer les Slaves, les faire disparaître comme peuple, les obliger à se fondre dans les deux races dominantes, les contraindre à devenir, ceux-ci des Allemands et ceux-là des Hongrois. L’invitation adressée à l’empereur François-Joseph par l’empereur Guillaume Ier leur paraissait l’annonce d’une alliance avec l’Allemagne prussienne ; ils la saluaient, Allemands et Hongrois, comme la défaite définitive des Slaves.

Y avait-il quelque chose de vrai dans ces interprétations ? Les Hongrois et les Allemands de l’Autriche avaient-ils raison de pousser des cris de triomphe ? les Slaves avaient-ils sujet de considérer l’avenir avec inquiétude ? En d’autres termes, l’invitation impériale venue de Berlin renfermait-elle la signification qui a si vivement agité tous les partis, de Pesth à Vienne et de Prague à Trieste ? Il est bien difficile de répondre à ces questions. Ce sont là les secrets du cabinet de Berlin. Nous avons déjà dit que, loin de prétendre apporter ici des renseignemens sur des choses qui nous échappent, nous cherchions surtout ce qui est matière à observation et à réflexion, c’est-à-dire l’impression produite par l’événement dont il