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par de criminelles passions, il y a des problèmes dignes de l’attention la plus sérieuse. Ce sont choses à examiner de près et à traiter l’une après l’autre. Il y faut des enquêtes sincères, des rapports approfondis, des résolutions prudentes. On ne supprimera jamais les vagues aspirations du socialisme ; on en diminuera peu à peu le péril au moyen d’améliorations successives. C’est la tâche de chaque jour imposée à tous les gouvernemens. S’imaginer qu’on résoudra de pareilles difficultés dans une réunion de souverains, au milieu des fêtes, au milieu des parades militaires, c’est une prétention qui fera sourire les hommes d’état. Une telle idée n’a pu venir qu’à ces publicistes, enivrés de la fortune de la Prusse, qui voient déjà l’empire d’Allemagne dictant la loi à l’univers.

Quand on parcourt les discussions de la presse allemande à propos de l’entrevue des empereurs, on est frappé d’un symptôme qui mérite d’être noté ; il y a deux courans très distincts dans les idées que les publicistes allemands se font des victoires de la Prusse et de la mission du nouvel empire. Les uns, attachés à la tradition, voudraient que l’empire de 1871 fût relié à l’antique empire disparu en 1806. Les autres, plus hardis, rejettent ces souvenirs du passé ; le nouvel empire, disent-ils, marque l’avènement d’un monde nouveau. Le premier groupe exprime une pensée qui semble d’accord avec les sentimens personnels de Guillaume Ier et de la plus grande partie de la noblesse prussienne ; le second serait plutôt l’organe de M. de Bismarck. Une polémique fort curieuse du mois d’août dernier a donné un corps à ces dissentimens. On sait que l’ancien empire d’Allemagne possédait tout un trésor d’insignes qui, transmis de dynastie en dynastie à travers les siècles, était devenu l’apanage des Habsbourg. C’était le trône, le sceptre, la couronne, le globe, la main de justice et le manteau impérial, ce que le poète Henri Heine, en ses fantaisies irrévérencieuses, appelle le bric-à-brac du moyen âge. Ces reliques vénérables, dont quelques-unes, assure-t-on, remontent aux premiers temps de l’empire, c’est-à-dire à un millier d’années, étaient autrefois une des curiosités de la ville de Francfort. Pendant les guerres de la république, à l’époque du siège de Mayence, en 1796, elles furent transportées à Vienne. Il paraît qu’elles y sont restées, même depuis que les Habsbourg ont perdu l’empire d’Allemagne. Le dernier empereur d’Allemagne, François II, devenu en 1806 le premier empereur d’Autriche sous le nom de François Ier, aurait dû rendre à Francfort ces insignes dont il n’avait que le dépôt ; mais Francfort en 1806 faisait partie de la confédération du Rhin, placée sous le protectorat de Napoléon ; pouvait-on lui confier le trésor du vieil empire allemand ? Asile pour asile, Vienne valait mieux que Francfort. Vienne conserva donc, quoique sans titre, le gothique appareil des Othon et des