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éclatantes ne sont pas toujours les plus sérieuses ; on ne peut pas demander à des hommes politiques de se renier brusquement eux-mêmes et de venir faire amende honorable, la corde au cou, comme les pénitens du moyen âge. C’est par l’usage et par les mœurs que se refont insensiblement les doctrines. Encore quelques années de république, et vous verrez les radicaux eux-mêmes observer scrupuleusement la loi. Les partis se rapprocheront les uns des autres, et au lieu de la guerre sociale qu’on nous prêche nous aurons un régime de liberté légale, sujet aux fluctuations de tous les pays libres, mais obéi et soutenu par tous.

Sont-ce là, comme certains esprits forts l’assurent, de vaines espérances et de ridicules illusions ? La république, telle que nous l’entendons, c’est-à-dire le règne de la loi, est-elle donc impossible dans une société comme la nôtre ? Notre démocratie française est-elle un terrain mouvant où l’on ne peut rien fonder de solide ? Est-elle éternellement condamnée, comme le dieu de la fable, à dévorer ses enfans ? Doit-elle défaire chaque matin ce qu’elle a fait la veille, et détruire successivement toutes les institutions qu’elle se donne ? Soyons de bon compte, et ne nous payons pas de mots : le grand défaut de notre nation n’est pas son goût pour l’anarchie ; c’est au contraire une docilité trop grande à toutes les impulsions qu’on lui donne, c’est une obéissance résignée aux gouvernemens établis, et une soumission passive à la loi, quel qu’en soit l’auteur, même à la loi du plus fort quand il n’y en a pas d’autre. La démocratie française est essentiellement conservatrice de l’ordre légal, et elle le respectera certainement, si les partis savent le respecter eux-mêmes. Les révolutions dont on l’accuse sont beaucoup plus le fait des factions et des gouvernemens eux-mêmes que celui de la masse de la nation. Faut-il s’étonner si ces perpétuels changemens, qu’elle subit sans en être la cause, et dont elle cherche à s’accommoder sans les avoir voulus, la surprennent, la désorientent, la découragent, et lui font perdre quelquefois l’équilibre ? Ce n’est pas la faute de l’opinion publique, si les hasards des révolutions et les exagérations des partis victorieux la poussent toujours d’un extrême à un autre. Sans doute elle manque de sang-froid et de prévoyance. Elle n’a pas cette prudence politique, si rare même chez les hommes d’état, qui les préserve des exagérations régnantes, et leur permet de traverser d’un pied sûr les époques les plus troublées de l’histoire. Elle dépasse bien souvent le but dans son impatience de l’atteindre. Quand l’ordre légal est menacé, elle se jette dans la réaction, au détriment de la légalité et de l’ordre même, qu’elle veut défendre. Quand la réaction devient menaçante à son tour, quand la souveraineté populaire est en danger, elle se rejette vers l’excès