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y ait là un bien grand inconvénient ? Sans doute, de deux épreuves dont se compose l’étude d’une langue, la version et le thème, l’une, à savoir le thème, est supprimée à partir de la quatrième. — Le thème écrit, oui ; le thème oral, non. — Or les meilleurs éducateurs, Rollin et Port-Royal, recommandent les thèmes de vive voix de préférence au thème écrit : celui-ci même n’est pas supprimé ; il s’en faut, puisqu’on en fera encore pendant quatre années. Supposez quatre ans de thèmes anglais, faits d’une manière bien régulière, bien continue, bien sérieuse ; qui pourrait dire que c’est peu de chose ? Un même exercice répété pendant huit années de suite finit par perdre toute son utilité, toute son efficacité. Cette préférence de la version sur le thème a été la méthode des meilleurs et des plus illustres éducateurs, Port-Royal et Rollin. Celui-ci ne méconnaissait pas l’utilité des thèmes, mais à la condition « qu’ils ne soient pas trop fréquens[1]. » Quant à Port-Royal, on y excluait les thèmes dans les basses classes, « car, disait-on, n’est-ce pas un ordre tout renversé et tout contraire à la nature que de vouloir qu’on commence par écrire en une langue, laquelle non-seulement on ne sait pas parler, mais même qu’on n’entend pas ? » Ici à la vérité, se plaçant à un autre point de vue que Port-Royal, le ministre a supprimé le thème dans les hautes classes et l’a maintenu dans les petites. Nous préférons pour notre part la méthode de Port-Royal ; mais dans tous les cas il semble que quatre années de thème soient suffisantes, soit qu’on commence, soit qu’on finisse par là[2]. Il est donc permis de dire qu’au point de vue de la gymnastique linguistique la réforme ne met rien en péril et laisse les choses comme auparavant ; l’expérience fera voir si elle les a améliorées.

Ce n’est pas tout, dira-t-on : il faut faire une part à l’invention, à l’imagination, à la composition littéraire. On ne doit pas toujours se borner à traduire ; il faut que l’esprit des écoliers travaille. Fort bien ; mais pourquoi ces exercices d’imagination ne se feraient-ils pas en français aussi bien qu’en latin ? C’est le point où il y a le plus de débat. Cependant le bon sens indique que, si les jeunes gens sont capables de composer en latin, ils doivent être encore plus facilement capables de composer en français, et, s’ils sont incapables de composer en français, on ne voit pas comment une

  1. Rollin, Traité des études, l. II, c. III.
  2. La question du thème latin présente toutefois, nous le reconnaissons, de sérieuses difficultés et est très controversée dans l’Université. Si, comme nous le proposons plus loin, l’étude du latin était ajournée de deux ans, c’est-à-dire de huitième en sixième, cette question serait résolue facilement. En effet, les quatre années de thème qui sont conservées par la réforme nous conduiraient de sixième en troisième et viendraient ainsi rejoindre les narrations latines et les discours latins, qui sont conservés également en seconde et en rhétorique, de sorte que l’ancien et le nouveau système se concilieraient très bien.