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la difficulté, car en allégeant l’enseignement il le laisse encore bien chargé. Si l’on supprime certains exercices, on en met d’autres à la place ; si l’on réduit le nombre des devoirs, on augmente les explications orales, — tout cela est bon et utile, mais la proportion est toujours à peu près la même, et il faut encore trouver du temps pour les langues vivantes et pour la géographie. Quelques mesures plus décisives paraissent donc nécessaires. Que l’on nous permette en conséquence d’exposer ici nos idées personnelles sur la question, sous notre propre responsabilité. Il est bien entendu d’ailleurs que ce sont des vues que nous soumettons à l’examen et à la critique plutôt que des projets que nous proposons. Chacun aujourd’hui est appelé à donner son avis ; nous usons de ce droit en demandant que tous ceux qui ont quelque autorité en fassent autant. Ce n’est pas trop du concours de tous pour résoudre de pareils problèmes.

Nous l’avons dit déjà, la question qui se débat aujourd’hui n’est qu’un cas particulier du grand conflit qui s’agite sourdement depuis un siècle, dans toutes les écoles de l’Europe, entre l’enseignement classique et ce que nous avons appelé l’enseignement moderne. En général les partisans aussi bien que les adversaires de ce second enseignement ont l’habitude de le représenter sous des traits qui ne sont peut-être pas complètement justes. Ainsi par exemple, tandis que l’éducation classique est considérée comme une éducation libérale, générale, philosophique, ayant pour objet la culture des hautes facultés, l’éducation moderne au contraire est représentée comme utilitaire, pratique, professionnelle, positive : la première ferait des hommes, la seconde des machines propres à telle ou telle profession. Il n’y a, ce semble, nulle raison d’établir une telle opposition. Si l’on considère en effet que l’enseignement moderne comprend les grandes littératures modernes, en particulier la littérature française, l’art d’écrire dans la langue maternelle, l’histoire de la civilisation antique et moderne et la comparaison de l’une et de l’autre, la philosophie, y compris le droit public et l’économie politique, les sciences dans leurs principes les plus généraux et les plus féconds, il serait difficile de faire croire que ce ne soit là qu’un ensemble de notions serviles et mercenaires servant à un but prochain et immédiat, comme l’apprentissage des arts mécaniques. On ne voit pas pourquoi la littérature moderne serait une étude moins libérale que la littérature ancienne, pourquoi l’art d’écrire en sa propre langue aurait quelque chose de moins noble que l’art d’écrire en latin, pourquoi les sciences étudiées dans leurs théories générales seraient moins dignes d’une haute culture que les lettres elles-mêmes, pourquoi les études morales et philosophiques ne seraient qu’une préparation à l’atelier. L’enseignement moderne n’a donc été tenu à distance et à un rang inférieur que parce qu’on se le