Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occasions du moins ne faisaient pas complètement défaut, et même de ce côté le cabinet des estampes était en mesure de fournir des renseignemens utiles aux artistes ou aux curieux.

Cependant la vente prochaine de la plus belle collection de gravures que depuis l’abbé de Marolles et Béringhen un amateur eût réussi à se former, la vente, annoncée pour le mois de novembre 1775, de la célèbre collection Mariette préoccupait trop justement le garde du cabinet des estampes pour qu’il pût songer dès lors à élargir beaucoup la nouvelle voie ouverte aux études par les dons de Bégon et de Caylus. Il s’agissait en effet d’empêcher au profit de la France, et, comme l’écrivait Joly, « pour l’honneur de la nation, » la dispersion des trésors accumulés pendant plus d’un siècle par trois générations d’iconophiles, dont le dernier, Pierre-Jean Mariette, mérite encore aujourd’hui le renom du connaisseur le plus délicat, de l’écrivain technique le plus savant que notre pays ait vu naître. Il fallait toutefois convaincre qui de droit de la nécessité d’un gros sacrifice pécuniaire, combattre d’avance la fin de non-recevoir que les ministres d’alors pourraient, à l’imitation du cardinal de Fleury, opposer aux sollicitations[1] ; Joly ne manqua pas de s’y employer de tout son cœur. Mémoires adressés au ministre de la maison du roi sous le titre de « raisons puissantes pour acquérir le cabinet de feu M. Mariette et le réunir à celui de sa majesté, » — rapports à Turgot, qui venait d’être nommé contrôleur-général des finances, — conférences quotidiennes avec le directeur de la Bibliothèque pour entretenir ou stimuler son zèle, — démarches personnelles auprès de Pierre, premier peintre du roi, auprès de Cochin et du graveur Lempereur, chargés tous trois d’examiner la collection et d’entrer en pourparler avec les héritiers de Mariette, — tout ce qu’il est possible d’écrire, de dire ou de faire en vue d’une heureuse solution, Joly le fait, le dit ou l’écrit, non sans quelque excès parfois de lyrisme dans l’expression ou tout au moins d’indépendance grammaticale, mais toujours avec une ardeur intelligente et une conviction qui rachètent amplement les imperfections de la forme. « On peut, écrivait-il au ministre Lamoignon de Malesherbes, on peut acquérir un diamant, une statue, un tableau, mais on ne pourra jamais, même à prix d’argent, rassembler un cabinet de dessins et d’estampes tel que celui de M. Mariette. S’il venait à être divisé ou transféré chez une puissance étrangère, la France perdrait pour toujours ce que le hasard, la fortune et le goût avaient pris plaisir à recueillir… Enfin, ajoutait Joly, quant à ce

  1. Lorsque, trente-cinq ans auparavant, l’achat pour le roi de la magnifique collection de dessins anciens formée par Crozat avait été proposé au cardinal de Fleury, celui-ci s’était contenté de répondre avec autant de naïveté au moins que de mauvaise humeur : « Le roi a bien assez de fatras ; je n’irai pas encore en accroître la quantité. »