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au suffrage universel, au socialisme, au communisme ; la probité politique du ministère avait même été mise en doute, et l’on avait crié à la violation de la constitution. Après deux jours de discussions passionnées, Thorbeke prit la parole pour défendre le projet.


« Je crois, monsieur le président, que ceux qui ont assisté sans parti-pris aux délibérations d’hier et d’aujourd’hui auront eu l’occasion de faire deux remarques. La première, c’est que, si nous avons encore à envier plus d’une chose aux assemblées représentatives de l’étranger, ce n’est pas précisément le ton des discussions[1] J’ai toujours pensé que, dans une assemblée comme la vôtre, ce ton ne doit jamais s’écarter de la politesse qui caractérise une compagnie d’hommes comme il faut, discutant ensemble une question sérieuse en se portant un respect réciproque. Si, dans une telle compagnie, quelqu’un s’oublie au point de perdre de vue ce qu’il doit à la gravité du sujet discuté et à ceux qui l’écoutent, on ne tient pas compte de ce qu’il a dit. Voilà ce qui convient selon moi dans une assemblée telle que la vôtre, ce qui convient surtout au gouvernement. Une parole acerbe est plus facile à trouver qu’une bonne raison, mais il n’y que les bonnes raisons qui restent.

« Ma seconde remarque est celle-ci, Quand on découvre, comme on a pu le découvrir hier et aujourd’hui, que sur un même point des hommes également raisonnables et modérés diffèrent largement de manière de voir, il convient d’être modeste. Et j’applique sur-le-champ cette observation à ce qu’on a dit sur l’interprétation de la constitution. Plus que beaucoup d’autres peut-être, j’ai été dans le cas d’entendre parler de la constitution en rapport avec le projet de loi qui vous est soumis ; mais, lorsque j’entends, comme aujourd’hui, celui-ci déclarer que la constitution est violée par des règlemens qui font à l’autre l’effet d’en être la stricte application, alors je conclus qu’on a toute sorte de motifs de se défier de sa propre opinion, et qu’on doit s’interdire de l’imposer d’autorité aux autres. »


Cette leçon donnée à des adversaires qui avaient dépassé les formes de la discussion honnête, l’orateur reprend l’un après l’autre les articles de la loi proposée. Il arrive à la fixation de cens électoral.


« Le cens, a-t-on dit, est trop bas ; mais a-t-on fait, messieurs, ce que j’avais instamment demandé ? On ne m’a pas cité une seule localité, pas un seul district, où le cens serait trop bas. Et moi, pendant la présentation de notre projet, j’ai constaté le contraire. Depuis qu’il est

  1. Ces paroles font allusion aux débats tumultueux, dont les chambres en France et en Allemagne étaient alors le théâtre.