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« La tolérance, vertu non seulement individuelle, mais aussi politique, se fonde sur la loi générale d’après laquelle chacun de nous a son chemin à lui qui le conduit à la vérité et doit pouvoir le suivre sans obstacle, en toute indépendance. Lors donc que nous sommes intolérans, nous pêchons contre l’ordre éternel du monde, et nous diminuons d’autant la force de la société où nous vivons. »

« Esprit d’exclusion dans l’église, dans l’état, dans la science, dans la politique, dans l’industrie (monopoles). — L’industrie, quand elle est encore à son plus bas degré, ne croit pas pouvoir se passer de monopoles et de prohibitions. La même chose a lieu pour la connaissance de la vérité. »


Si je ne me trompe, ces membra disjecta d’une pensée, remarquable surtout par l’unité qui présidait à ses rayonnemens divers, démontrent que le ministre d’état n’avait pas cessé d’adhérer à ce principe à la fois historique et philosophique dont ses premiers écrits étaient tout pénétrés. L’organisme dans lequel chaque partie concourt à la formation du tout, mais où le tout en revanche est nécessaire à la vie de chaque partie, telle est la forme fondamentale de cette pensée. En politique, ce principe se traduira par la recherche d’une pondération aussi juste que possible entre les droits de l’individu et ceux de la société. Dans l’administration, le même principe inspirera des organisations complètes, bien proportionnées dans les rouages qui les composent, mais n’étouffant pas les aptitudes individuelles, ou plutôt les provoquant pour les utiliser. Si l’on examine toute la carrière politique de Thorbecke, on voit qu’au fond c’est le jeune philosophe qui a engendré et qui n’a cessé de diriger l’homme d’état.

Peut-être Thorbecke est-il mort à temps pour son bonheur. Les dernières années de sa vie avaient été assombries. La perte qu’il fit de sa femme, qui le précéda de près de deux ans dans la tombe, lui avait été cruelle. Le jeu des partis politiques en Hollande lui inspirait des inquiétudes. Il voyait les catholiques en masse s’allier contre le libéralisme à leur vieux ennemis, contre lesquels il avait dû si longtemps lutter pour la revendication de leurs droits. D’un autre côté, le parti libéral se scindait. Les jeunes libéraux n’appréciaient pas toujours à leur valeur les services qu’il avait rendus au principe, et s’impatientaient des ajournemens ou des hésitations que le vieux ministre opposait à leurs vœux en faveur de réformes plus radicales que celles dont l’introduction lui avait coûté tant de peine. Enfin les événemens qui se déroulaient à l’extérieur lui paraissaient gros de résultats fort inquiétans pour l’avenir de sa