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aussi, à la pratique, il retombait souvent dans les voies de ces rhéteurs qu’il affectait de mépriser ; il célébrait, devant ses disciples, Hélène et Busiris, il les invitait à s’essayer sur ces thèmes bizarres, ne fût-ce que pour se délier l’esprit. Quant à la méthode employée par celui qui se proposait de former des orateurs judiciaires, nous sommes réduits aux conjectures ; les tétralogies d’Antiphon peuvent pourtant nous donner quelque idée du genre d’exercices auquel on avait recours en pareil cas[1]. On supposait un événement qui pût donner matière à un procès, d’ordinaire à un procès criminel ; puis on déterminait la nature de la cause, suivant que le débat portait sur des présomptions à faire valoir ou sur des faits incontestés, dont il s’agissait seulement d’apprécier le caractère juridique. Ceci réglé, il fallait trouver les moyens d’attaque ou de défense que fournissait la cause, travailler ensuite à les classer, à les grouper dans le meilleur ordre et à les placer dans le plus beau jour. Afin d’acquérir plus de souplesse et de dextérité, on plaidait le pour et le contre, on composait parfois, comme nous le voyons dans Antiphon, l’accusation, la défense, une réplique de l’accusation, une réplique de la défense. Dans la bouche d’un homme tel qu’Isée, qui ne voulut jamais être qu’avocat, cet enseignement dut prendre un caractère plus spécial encore et plus pratique. Isée ne se contentait pas, comme ses prédécesseurs, de citer les lois ; il aimait à les comparer entre elles, à les commenter, à en dégager les principes, à faire enfin, dans la mesure où le comportait la cause qu’il était chargé de plaider » la théorie de la législation athénienne : il fut, sans que l’on parût s’en douter autour de lui, le premier des jurisconsultes grecs, le précurseur d’Aristote et de Théophraste.

Pour remonter ainsi aux principes, il faut, outre l’habitude et le goût des idées générales, une connaissance très étendue et très précise des faits particuliers. Les lofographes n’avaient pas alors à leur disposition ces grandes collections de lois et de décrets que compileront les érudits de l’époque alexandrine ; mais il est probable que ceux qui, comme Isée, avaient sans cesse à citer et à discuter la loi s’étaient déjà fait, pour leur usage particulier, des recueils contenant tout au moins, outre les lois de Solon, les plus importantes de celles qu’y avait ajoutées le travail législatif de deux siècles. Il y avait à Athènes toute une catégorie de fonctionnaires subalternes que l’on appelait les écrivains ; c’étaient eux qui servaient de secrétaires ou de greffiers au magistrat sur son tribunal, au plaideur devant le jury, à l’orateur dans l’assemblée ; c’étaient eux qui avaient entre les mains et qui lisaient,

  1. Voyez. La Revue du 15 février 1871.